L’équipe AIstroSight mise sur la coopération avec les praticiennes et praticiens hospitaliers
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Mis à jour le 10/07/2025
Le déménagement à l’hôpital neurologique de Lyon Est a un objectif tant pratique que scientifique pour l’équipe-projet multidisciplinaire AIstroSight, spécialisée dans la compréhension des maladies neurologiques et du fonctionnement cérébral grâce aux mathématiques appliquées et à l’informatique.
Nous voulions nous rapprocher des praticiens hospitaliers et des neuroscientifiques. Cette proximité avec les HCL, mais aussi avec des laboratoires dédiés aux neurosciences et à l’imagerie médicale comme le CRNL, le CERMEP et le SRBI, ouvre de nouvelles perspectives de recherche.
résume Maëlle Moranges.
Pour l’équipe, c’est aussi la possibilité d’avoir accès aux données de santé, sans les extraire du périmètre hospitalier, garantissant ainsi confidentialité et cybersécurité. AIstroSight s’appuie en effet sur l’intégration de diverses données biomédicales, à partir de cultures cellulaires ou d’images IRM par exemple, pour créer une base de données homogènes et exploitables par des algorithmes.
Dans ce cadre, Maëlle Moranges s’est trouvée confrontée à un défi de taille. L’intelligence artificielle peine encore à convaincre les praticiens, malgré son potentiel très prometteur en santé, notamment pour améliorer les diagnostics, personnaliser les traitements et réduire les erreurs médicales. « Une étude récente menée par des chercheurs américains a montré qu’une IA s’en sortirait nettement mieux qu’un médecin dans l’aide au diagnostic, note la postdoctorante. Seule, elle atteint ainsi 92 % de réussite, contre 74 % pour le médecin. Et ensemble, le pourcentage arrive à 76 % seulement. Pourquoi ? Parce que les praticiens éprouvent des réticences à s’appuyer sur l’IA. »
Comment favoriser l’adhésion des professionnels de santé ? Maëlle Moranges suggère une piste de solution. Pour que les médecins adoptent l’IA et lui fassent confiance, elles et ils doivent comprendre son fonctionnement. C’est tout l’enjeu de l’IA explicable, sur laquelle mise la chercheuse, pour accompagner les diagnostics proposés par l’IA d’une justification claire pour les praticiens.
« Aujourd’hui, les explications ne leur conviennent pas : trop mathématiques ou trop simplistes, poursuit-elle. Nous cherchons donc à développer des IA capables de donner des informations intelligibles mais pas naïves, adaptées à chaque destinataire, clinicien, chercheur, industriel, voire agence de régulation. »
Le challenge est complexe. Il s’agit de créer des outils à la fois globaux pour comprendre le fonctionnement général du modèle, et locaux pour justifier une décision dans le cas d’un patient en particulier. C’est là tout l’intérêt de concevoir cette IA en collaboration avec les médecins eux-mêmes.
Cette coopération prend tout son sens dans le projet mené par Maëlle Moranges avec le Service de neurologie vasculaire des HCL dans lequel le Pr Laura Mechtouff est cheffe de service adjointe. Thème exploré : l’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique, plus précisément la thrombectomie, une intervention qui consiste à retirer le caillot sanguin par aspiration ou en introduisant un stent dans l’artère obstruée. Elle est recommandée jusqu’à 24 heures après le début des symptômes de l’AVC, en complément d’une thrombolyse (destruction du caillot par des médicaments), ou seule.
Toutefois, cette intervention, bien qu’elle soit efficace, a ses limites, comme le souligne Maëlle Moranges : « Un patient sur deux ne retrouve pas son autonomie dans les trois mois qui suivent une thrombectomie. Laura Mechtouff suggère que la persistance du handicap proviendrait d’une inflammation excessive pendant laquelle le système immunitaire aggraverait les lésions dans un cerveau déjà fragilisé par l’AVC. »
Afin de tester cette idée, Maëlle Moranges entend prédire le risque de handicap des patients à partir de leur profil inflammatoire avec l’IA.
À terme, l’objectif est de trouver, à l’aide de grands modèles de langage (LLM), de machine learning et d’explicabilité, les biomarqueurs sanguins impliqués et, selon les résultats, d'amorcer une réflexion sur de potentiels traitements pour limiter l'inflammation.
La postdoctorante a également en ligne de mire un autre challenge soulevé par Laura Mechtouff : pourquoi les femmes se remettent-elles moins bien de l’AVC que les hommes ? Serait-ce lié à une réaction inflammatoire différente selon le genre ?
On le voit, les échanges entre la bio-informaticienne et les praticiens s’avèrent donc essentiels. « Sans l’immersion directe dans le service de Laura Mechtouff, jamais nous n’aurions envisagé la piste de l’inflammation source de handicap », confirme-t-elle.
Plus largement, l’installation d’AIstroSight aux HCL marque même une étape clé pour déverrouiller le potentiel de l’intelligence artificielle au service de la santé… et inversement, car elle profite aux deux disciplines.
En étant plongés dans le quotidien hospitalier, nous nous concentrons sur des sujets plus utiles aux praticiens, en phase avec leurs préoccupations et avec un intérêt clinique réel, affirme Maëlle Moranges. Nous explorons des pistes encore inabordées dans la littérature scientifique, inexpliquées par la médecine classique et difficiles à identifier depuis un laboratoire éloigné.
Autre bénéfice : quand les praticiens disposent d’énormément de données, il est difficile pour eux de les démêler et de discerner les éléments qui produisent un impact ; or un algorithme est un explorateur infatigable, en mesure de "fouiller" seul ces masses d’informations. Pour développer l’explicabilité, la chercheuse exploite ainsi des approches de Pattern Mining qui détectent automatiquement les récurrences et établissent des liens entre les données, pour décrire une pathologie ou dégager des profils à risque.
« Si l’IA combine aspects descriptif et prédictif, elle pourrait devenir très précieuse pour le diagnostic et l’aide à la décision médicale, conclut-elle. Enfin, la médecine nous challenge avec des problématiques très complexes, ce qui nous pousse encore plus loin en matière d’innovation. Le corps humain et les maladies présentent souvent une forte variabilité, tant intra qu’interindividuelle, ce qui les rend plus imprévisibles que les comportements d’achat des consommateurs, domaine où l’IA est aujourd’hui couramment utilisée. »