Santé / Médecine personnalisée

Diagnostiquer plus vite la résistance aux antibiotiques

Date:

Mis à jour le 10/07/2025

Pour soigner les patients atteints d’infections bactériennes, le temps presse. Parmi tous les antibiotiques disponibles, les médecins doivent choisir rapidement les plus efficaces. Mais pour tester l’antibiorésistance à ces médicaments, il faut effectuer une culture bactérienne qui exige plusieurs jours. Basée sur l’étude ADN et appelée Genomic Neighbor Typing (typage de voisin génomique), une nouvelle approche pourrait permettre de réduire ce délai à quatre heures. Au Centre Inria de l’Université de Rennes, l’action exploratoire Barde vise à relever les défis qui permettront de rendre cette méthode directement et largement utilisable dans les hôpitaux, comme l’explique le scientifique Karel Břinda.
© Inria / Photo H. Raguet

 

Face à un choc septique, chaque heure perdue avant la prescription d’un antibiotique efficace augmente la probabilité de décès d’environ 7%. Mais beaucoup de médicaments sont en service depuis tellement longtemps que certaines bactéries ont fini par devenir résistantes. Pire encore : quand un médecin s’apprête à soigner un patient souffrant d’une infection bactérienne potentiellement antibiorésistante, bien souvent il ne le sait pas. Il dispose de très peu d’information pour prendre sa décision, choisissant donc souvent d’utiliser un antibiotique à large spectre. Avec un risque : administrer au patient un produit inadapté. Pour toutes ces raisons, il faut tester le plus vite possible la résistance. Pour ce test, la procédure actuelle passe par une culture de bactéries qui demande deux jours. Un temps bien trop long. D’où le besoin d’une approche nettement plus rapide.

Et c’est là qu’une nouvelle méthode appelée Genomic Neighbor Typing entre en jeu. Introduite par Karel Břinda (et des collègues) durant son postdoctorat à l’école de santé publique T.H. Chan de Harvard et l’école de médecine de Harvard, cette technique révolutionnaire a fait l’objet d’une publication[1] dans Nature Microbiology en 2020.

Typage de voisin génomique

Image

Portrait Karel Brinda - GenScale - antibioresistance - bioinformatique

Verbatim

Quand une bactérie devient résistante, son ADN se modifie. On peut détecter cette résistance par séquençage. Notre méthode s’appuie sur le séquençage d’ADN par nanopores, une technologie très moderne et facilement transportable qui utilise des appareils pas plus gros qu’un téléphone mobile. Ils ont été mis à contribution, par exemple, pour surveiller l’évolution génomique de l’épidémie d’Ebola, il y a quelques années en Afrique et plus récemment le développement des variants du Covid (SARS-CoV-2).

Auteur

Karel Břinda

Poste

Chercheur Inria (ISFP) - équipe GenScale

"Mais nous utilisons cette technologie d’une façon très originale. Au lieu d’essayer de juste identifier les gènes ou les mutations responsables de la résistance aux antibiotiques, ce qui prendrait trop de temps pour donner un diagnostic, nous inférons quels sont les plus proches voisins connus des pathogènes présents dans les échantillons biologiques prélevés sur le patient", explique Karel. Autrement dit : le voisin le plus proche dans une base de données des génomes précédemment séquencés.

De nos jours, beaucoup de pathogènes sont séquencés et étudiés en laboratoire. Nous savons donc à quels antibiotiques les souches sont résistantes ou sensibles. À partir de là, pour une souche bactérienne présente dans les prélèvements sur le patient, si l’on peut identifier le plus proche voisin et si l’on connaît les propriétés de ce voisin grâce à de précédentes analyses, alors on peut aussi faire une assez bonne estimation des propriétés de la souche dans l’échantillon.

Diagnostic en 24 heures

Ce typage de voisin génomique présente deux avantages sur les approches cherchant à identifier le gène ou la mutation. Premièrement, elle fonctionne sans avoir besoin d’information sur la biologie complexe du pathogène. Deuxièmement, elle est capable d’effectuer sa prédiction à partir d’une très petite quantité de données à peine sortie du séquenceur. Ce qui en fait une méthode ultra-rapide. “Lors de la première expérimentation, dans notre article, nous avions montré qu’une fois le séquençage commencé, nous étions capables de prédire la résistance et la sensibilité en dix minutes environ.

Avant le passage en machine, il faut aussi prendre en compte les quelques heures nécessaires pour prélever l’échantillon sur le patient et le préparer. Mais ce délai diminue petit à petit grâce à de meilleurs protocoles de séquençage. On compare souvent les séquenceurs à des broyeurs de documents qui découperaient des librairies entières de livres pour ne laisser qu’un monceau de lettres éparses. Il faut ensuite un long processus de calcul pour reconstituer les mots, les phrases, les paragraphes, les pages et les livres. Dans ce domaine, au-delà de leur portabilité, les appareils nanopores présentent deux autres avantages dont la méthode par typage de voisin génomique tire bénéfice. “Avec les autres technologies de séquençage, il faut attendre des heures. Puis tout arrive à la fin quand le travail de la machine est terminé. À l’inverse, avec les nanopores, vous recevez un flux de données dès que l’appareil commence à séquencer. Et notre méthode permet d’effectuer une prédiction quasiment immédiatement à partir de ces premières données. Le diagnostic arrive donc très vite.” Autre avantage : “ces machines délivrent du séquençage de grande longueur. C’est comme si l’on obtenait de plus grandes feuilles de texte. C’est très important car cela donne la possibilité de zoomer dans la structure de population et d’identifier la plus proche parenté. Dès que l’on dispose de quelques morceaux suffisamment longs, on peut effectuer une bonne estimation de la résistance du pathogène.

Un plus vaste éventail de pathogènes

Désormais chercheur dans Genscale[2], une équipe-projet de bioinformatique au Centre Inria de l’Université de Rennes, Karel Břinda mène actuellement une action exploratoire[3], nommée Barde. Objectif : “développer des méthodes computationnelles mieux adaptées pour diagnostiquer la résistance aux antibiotiques en combinant notre nouvelle approche avec d’autres basées, par exemple, sur l’identification des gènes résistants ou des SNP résistants[4] car le typage de voisin génomique n’est pas utilisable pour tous les antibiotiques et toutes les espèces.”

Le but est aussi de s’intéresser à un plus vaste éventail de pathogènes. “Dans notre publication, nous avions pris en exemple deux bactéries : le pneumocoque et le gonocoque. Mais pour d’autres espèces, il faut ajuster la méthode et développer de bonnes bases de données de génomes ainsi que des métadonnées sur leur résistance. Afin d’y parvenir, nous avons aussi besoin d’experts possédant une connaissance approfondie à la fois des aspects cliniques et des mécanismes de résistance pour chaque espèce considérée.”

Collaboration avec le CHU de Rennes

À cet égard, Barde se déroule en étroit partenariat avec le centre hospitalier universitaire de Rennes. “Ce CHU possède l’une des meilleures équipes françaises en matière de résistance aux antibiotiques, avec à sa tête le professeur Vincent Cattoir. Elle est spécialisée dans les espèces entérocoques, en particulier l'enterococcus faecium qui est l’un des principaux pathogènes humains. Pour cette espèce, les chercheuses et chercheurs gèrent aussi les collections du Centre national de Référence de la Résistance aux antibiotiques (CNR). Nous avons ainsi accès à très bonne base de données génomiques à une échelle nationale.

La collaboration vise à “connecter l’expertise computationnelle de Genscale aux compétences biologiques et cliniques du CHU pour cheminer vers des méthodes qui soient directement applicables dans le contexte hospitalier, permettant ainsi de diminuer le temps nécessaire pour un diagnostic de résistance dans les contextes cliniques.

Sur le long terme, la question clé porte sur la construction de bases de données à la fois grandes et représentatives pour les souches bactériennes. “Aujourd’hui, nous travaillons sur des bases allant jusqu’à des milliers génomes. À l’avenir, le séquençage va coûter de moins en moins cher et devenir plus courant. Nous allons donc disposer de bases bien plus vastes. Mais il va nous falloir alors de nouvelles méthodes computationnelles et de nouveaux outils logiciels pour les interroger si l’on veut, par exemple, comparer en temps réel une souche particulière à toutes les souches déjà séquencées et répertoriées dans dépôts publics. Au final, il faut que tous ces aspects se rejoignent. Nous avons aussi devant nous un énorme défi...”

Titre

En savoir plus sur les travaux de recherche de Karel Břinda (en anglais)

 

[1] Lire : Rapid inference of antibiotic resistance and susceptibility by genomic neighbor typing, par Břinda, K., Callendrello, A., Ma, K.C. et al. dans Nature Microbioly 5, 455–464 (2020).

[2] Genscale est une équipe-projet Inria, Université de Rennes et CNRS, commune à l’UMR Irisa. Elle développe des méthodes et des outils pour le traitement des données génomiques. L’action exploratoire Barde est menée par un groupe de chercheurs au sein de l’équipe.

[3] Une action exploratoire Inria est un dispositif interne pour faciliter l’émergence de nouvelles thématiques de recherche en donnant aux scientifiques les moyens de tester des idées originales.

[4] Un polymorphisme d'un seul nucléotide (en anglais : single nucléotide polymorphism, SNP ou snip) est une variation à un endroit précis du génome qui peut expliquer en partie les différences de résistance à un antibiotique.