Et si l’IA aidait le cerveau à réapprendre après un AVC ?
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Mis à jour le 10/07/2025
L’AVC est la première cause de handicap acquis chez l’adulte. Dans 80 % des cas, il est lié à la formation d’un caillot dans les vaisseaux du cerveau. Quand ceux-ci se bouchent, cela déclenche ce qu’on appelle l’apoptose, une mort neuronale. Chaque minute fait perdre 2 millions de neurones au cerveau. Il y a donc urgence à agir.
« Les traitements en phase aiguë n’empêchent malheureusement pas les séquelles fonctionnelles durables, notamment sur la capacité à bouger le bras et la main, quand le cortex moteur a été endommagé, rapporte Philippe Ciuciu, directeur de recherche au CEA et responsable de l’équipe-projet MIND. Une rééducation par kinésithérapie peut réduire ces déficits de la motricité, mais pas toujours complètement. »
Aider le cerveau à réapprendre après un AVC grâce à l’IA, telle est donc l’ambition du projet BrainSync, auquel est associée l’équipe-projet Inria MIND commune avec le CEA (centre NeuroSpin). L’objectif ? Développer une approche innovante de réhabilitation motrice des membres supérieurs grâce à des prothèses neuronales.
Une initiative d’envergure lancée fin 2024 pour une durée de quatre ans et demi, jusqu’à 2029, et dotée de 5 millions d’euros. C’est l’un des projets structurants retenus par l’initiative "Audace" portée par le CEA, pour répondre à la demande de l’État de faire émerger des projets de recherche à risque dans le cadre de "France 2030".
Au total, ce projet réunit une trentaine de partenaires issus de neuf équipes de recherche, réparties entre Inria, le CEA (centres de Saclay et Grenoble), les universités Paris-Saclay (NeuroSpin) et Grenoble-Alpes, ainsi que plusieurs établissements de santé (CHU d’Ile-de-France AP-HP, Groupe hospitalo-universitaire Paris-Neurosciences, CHU de Grenoble-Alpes, CHU de Saint-Étienne).
Au cœur de ce projet, figure la technologie Wimagine®, une neuroprothèse développée par le CEA-Leti destinée à redonner de la mobilité aux personnes atteintes d’un handicap moteur à cause d’une lésion de la moelle épinière. Contrairement à d’autres systèmes existants qui nécessitent l’implantation de capteurs dans le tissu cérébral, ce dispositif – une pastille de 4 cm² - est posé à la surface du cortex, comme « un sparadrap sur la boîte crânienne », précise Philippe Ciuciu.
Cette technologie permet de mesurer l’activité électrique au niveau de la zone cérébrale dédiée à l’activité motrice (électrocorticographie), grâce à 64 électrodes en contact avec la dure-mère, la membrane fibreuse qui couvre le cerveau. Elle présente plusieurs points forts, notamment une stabilité des signaux dans le temps et une synchronisation quasi-instantanée (moins de 50 millisecondes entre le décodage des signaux électriques et l’action motrice).
« La difficulté ici, c’est que le cortex des victimes d’AVC est endommagé, indique Philippe Ciuciu.
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Notre projet vise à démontrer qu’il est possible d’associer l’activité électrique avec l’intention de mouvement, même quand le patient ne peut plus bouger son bras.
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Responsable équipe-projet MIND (Inria, CEA)
"À ce stade, on ne sait pas encore si on va trouver des signaux exploitables." Une innovation majeure pour les victimes d’AVC.
Mais avant cette étape, l’équipe doit identifier le meilleur site d’implantation des pastilles Wimagine® sur le cortex. Dans cette perspective, elle va recruter 100 patients en phase de récupération post-AVC à partir d’octobre 2025. Ils participeront à un essai clinique non invasif basé sur de la neuroimagerie multimodale à 7 tesla (IRM fonctionnelle – IRMf – pour cartographier les zones cérébrales actives liées à l’intention de mouvement et IRM structurelle pour localiser les faisceaux de myéline endommagés du cerveau).
« Bertrand Thirion, Demian Wassermann, Chaithya GR et moi-même de l’équipe MIND sommes impliqués dans cette étude, précise Philippe Ciuciu. Nous analyserons les données d’imagerie cérébrale collectées et nous entraînerons divers modèles prédictifs d’intelligence artificielle, du machine learning au deep learning, en passant par des modèles de transformeur voire de fondation inspirés des grands modèles de langage (LLM), pour qu’ils relient le signal fonctionnel enregistré en IRMf à l’intention de mouvement. »
Dans ce cadre, l’expertise d’Inria constitue un atout précieux : elle va permettre de construire des modèles d’IA robustes et explicables, avec pour but d’identifier le meilleur site d’implantation des neuroprothèses Wimagine®. Puis les chercheurs du CEA-Leti prendront le relais, afin de transformer en temps réel les signaux cérébraux mesurés par électrocorticographie en commandes motrices, via un protocole Bluetooth et des algorithmes de décodage fonctionnant en temps réel, pour permettre au patient d’actionner un gant articulé ou une manchette facilitant la préhension. Il pourra ainsi saisir des objets malgré son hémiplégie.
« Même si nous n’en sommes pas encore là, nous comptons explorer la possibilité de réintroduire de la plasticité neuronale avec la neuroprothèse Wimagine®, annonce Philippe Ciuciu. En d’autres termes, nous espérons permettre aux victimes d’AVC de récupérer une partie de leur motricité grâce à plusieurs mois de rééducation assistée par le dispositif, même après arrêt de son utilisation. »
Cette approche s’inscrit dans un mouvement plus large d’intrication des neurosciences et de l’intelligence artificielle. D’un côté, l’IA aide à restaurer la fonction motrice du cerveau. De l’autre, la compréhension du cerveau permet de construire de nouveaux modèles d’IA bioinspirés. Un croisement gagnant-gagnant.
Au total, ce projet interdisciplinaire mobilise 30 personnes, dont des neurologues, neurochirurgiens, neuroradiologues, médecins de réadaptation, mathématiciens appliqués, spécialistes en intelligence artificielle, ou encore physiciens de l’IRM.
Ainsi, au-delà de Philippe Ciuciu et son équipe MIND (CEA/Inria), BrainSync est également porté par Myriam Edjlali-Goujon, professeure des universités et praticienne hospitalière à l’AP-HP, Abdelmadjid Hihi, chercheur au CEA-Leti, Marina Reyboz, directrice de recherche au CEA-List, et Mikaël Mazighi, directeur de la Fédération hospitalo-universitaire Neurovasc.
Autre atout : un environnement technologique d’exception. Le projet bénéficie notamment de deux imageurs 7 tesla de dernière génération et de l’IRM Iseult, le plus puissant au monde avec un champ magnétique de 11,7 tesla. Cet équipement hors du commun permettra de produire des images du cerveau humain d’une précision inégalée.
Et toujours dans le cadre du projet BrainSync, les chercheurs vont aborder un autre volet. Ils vont s’intéresser à la représentation, conjointe ou différenciée dans le cerveau, des fonctions d’apprentissage et de prise de décision grâce à une tâche d’exploration/exploitation dans un environnement changeant, reflétant la réalité de la vie quotidienne. L’objectif sera de mesurer si l’humain est susceptible de faire preuve de flexibilité mentale face au changement. Pour ce faire, ils vont développer une nouvelle imagerie fonctionnelle à haute résolution spatio-temporelle sur l’IRM Iseult, afin d’évaluer non seulement les cartographies de ces deux fonctions – apprentissage et prise de décision –, mais aussi leur profil de réponse temporelle, une gageure en IRM fonctionnelle.