Marie-Constance Corsi, exploratrice de l’intention cérébrale
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Mis à jour le 20/05/2025
Le chemin qui a mené Marie-Constance Corsi à explorer les mystères du cerveau humain est loin d'être linéaire. Son parcours académique, marqué par des incursions dans la physique et les télécommunications, témoigne de son attrait pour la pluridisciplinarité. C'est à Télécom Bretagne, aujourd'hui IMT Atlantique, qu'elle découvre le pouvoir de la collaboration interdisciplinaire : « L'interaction avec des personnes d'horizons différents est incroyablement enrichissante », confie-t-elle. « Cela permet d'aborder les problèmes sous des angles nouveaux et de trouver des solutions innovantes. »
Souhaitant appliquer ses connaissances dans le domaine biomédical, son parcours d’élève ingénieure s’est clôturé par une formation en technologies de l’information et de la communication pour la santé (TIC & Santé) proposée par l’Institut Mines Télécom, l’université de Montpellier et les Mines d’Alès, mêlant étudiants en ingénierie et professionnels médicaux et paramédicaux.
Son master en neuropsychologie et en neurosciences cliniques, obtenu en parallèle de sa thèse, vient compléter son bagage scientifique et lui offrir une perspective unique sur le fonctionnement du cerveau. Cette double compétence, alliant expertise technique et compréhension des mécanismes cognitifs, s'avère un atout précieux dans ses travaux sur les interfaces cerveau-ordinateur (BCI pour brain-computer interfaces) qui permettent de traduire l’activité cérébrale en commandes pour contrôler un ordinateur, une prothèse ou tout autre système automatisé.
Sa thèse, soutenue en 2015 à l'Université Grenoble Alpes, portait sur le développement de magnétomètres à pompage optique à hélium 4 : des capteurs ultrasensibles, capables de mesurer les infimes champs magnétiques générés par le cœur et le cerveau. « L'objectif était de remplacer les systèmes cryogéniques encombrants, coûteux et dangereux par des dispositifs plus compacts, plus performants et fonctionnant à température ambiante », explique Marie-Constance. Un défi technologique de taille car il fallait réduire le bruit de fond et améliorer la sensibilité des capteurs pour obtenir des mesures plus précises et plus fiables. Un travail qui a ouvert la voie à de nouvelles applications dans le domaine de l’étude du fonctionnement cérébral, puisque, à la fin de sa thèse, ses encadrants ont fondé une startup : Mag4Health.
Aujourd'hui, ses efforts se concentrent sur l'efficacité des interfaces cerveau-ordinateur, notamment pour les patients qui peinent à contrôler ces dispositifs. « L'un des principaux obstacles à l'utilisation des BCI est la difficulté pour certains patients à maîtriser ces interfaces », souligne-t-elle. L'objectif est donc de décrypter "l'intention" du sujet en tenant compte de sa spécificité afin de lui proposer l’information la plus pertinente.
Pour cela, Marie-Constance explore des marqueurs neurophysiologiques innovants, comme une manifestation neurophysiologique qui s'appelle la "désynchronisation", liée à l’imagination motrice. Il s’agit du phénomène dans lequel on a observé que la puissance du signal cérébral diminuait lorsqu'une personne imaginait un mouvement ou le réalisait. C'est un marqueur classique utilisé dans les BCI, mais il a une limite : il ne renseigne que sur l'activité d'une zone cérébrale spécifique, sans prendre en compte les interactions entre les différentes zones. Après plusieurs travaux menés pour identifier des biomarqueurs de performances en BCI et pour développer de nouvelles approches riemanniennes de classification basées sur des métriques classiques de connectivité fonctionnelle, Marie-Constance a commencé à étudier les "avalanches neuronales", des cascades d'activité cérébrale qui pourraient encore améliorer la conception des BCI…
Mais qu’est-ce qu’une avalanche neuronale, exactement ? Il s’agit d’un phénomène de propagation rapide et apériodique de l'activité neuronale à travers le cerveau. Ces avalanches sont définies comme des cascades d'activité dans les réseaux neuronaux, dont la distribution des tailles peut être approximée par une loi de puissance. Et ce qui est intéressant, c’est que la manière dont ces "avalanches" se propagent change en fonction de ce que fait la personne, par exemple, si elle est au repos ou si elle est en train d'imaginer faire un mouvement.
Vidéo représentant en temps réel la propagation des avalanches neuronales à partir d’enregistrements de magnétoencéphalographie (MEG). Crédit : P. Sorrentino
Dans un article publié en 2024 dans iScience (Measuring neuronal avalanches to inform brain-computer interfaces, M.C. Corsi et al.), Marie-Constance et Pierpaolo Sorrentino, de l’Institut des neurosciences des systèmes (INS) de Marseille, ont étudié le rôle de ces avalanches neuronales comme marqueurs possibles pour améliorer la conception des BCI. Leur objectif était de suivre la probabilité qu'une avalanche se propage entre deux régions cérébrales et d’en construire une matrice de transition d'avalanche (ATM), une sorte de "carte" qui indique, pour chaque paire de régions (X,Y), la probabilité pour que la région Y soit active à un instant t+1 sachant que la région X était active à l’instant t. L’équipe a ensuite comparé ces probabilités de transition entre les conditions de repos et d'imagerie motrice pour identifier les différences significatives et évaluer si ces propriétés pouvaient permettre le décodage des tâches.
En comparant ces matrices, Marie-Constance et ses collègues ont pu identifier des différences significatives dans la façon dont les avalanches se propagent. Plus important encore, les propriétés de ces avalanches neuronales permettent un décodage des tâches avec une précision supérieure aux méthodes conventionnelles, et avec une moindre variabilité interindividuelle. Ces résultats suggèrent que leurs propriétés pourraient non seulement aider à mieux interpréter les intentions de l'utilisateur, mais aussi offrir de nouvelles pistes pour améliorer les performances et l’adaptation des BCI en fonction de chaque individu. Ce sont des aspects qui sont actuellement étudiés par Camilla Mannino, doctorante de l’équipe.
Au sein de l'équipe NERV, Marie-Constance travaille au quotidien avec des informaticiens, des neurologues et des spécialistes d'autres disciplines. « Ces échanges constants sont essentiels pour faire avancer la recherche, affirme-t-elle, ils permettent de confronter les idées, de décloisonner les disciplines et de s'assurer que les outils développés répondent aux besoins réels des patients, des aidants, et du personnel soignant. »
Le logiciel HappyFeat est le fruit de cette collaboration entre différentes disciplines et vise à faciliter l'utilisation des BCI en milieu clinique. Il offre aux médecins un outil d'aide à la décision pour personnaliser l'entraînement des patients. Concrètement, HappyFeat, dont le développeur principal est Arthur Desbois, prend les données brutes enregistrées par un système BCI et en extrait les informations pertinentes, comme la puissance des différentes ondes cérébrales ou la façon dont différentes zones du cerveau communiquent entre elles. Le logiciel propose ensuite plusieurs méthodes pour contrôler la machine. Une fois ces caractéristiques sélectionnées, il entraîne un algorithme d'apprentissage automatique, appelé "classifieur", qui apprend à reconnaître les patterns d'activité cérébrale associés à une intention particulière comme, par exemple, bouger la main droite.
Un ouvrage qu’elle recommanderait à celles et ceux qui souhaitent se diriger vers les neurosciences ? Voyage au-delà de mon cerveau (2008), du Dr Jill Bolte Taylor, le témoignage d'une neuroscientifique ayant survécu à un AVC qui offre un aperçu unique sur le fonctionnement du cerveau. Et pour celles et ceux qui s’intéressent à plusieurs domaines de recherche, Marie-Constance suggère La théorie du chaos : Vers une nouvelle science (1989) de James Gleick : « Un ouvrage intéressant, une ode à la pluridisciplinarité. Il met en exergue les difficultés de cloisonnement entre les disciplines scientifiques, alors que certains domaines s'appuient sur des modèles mathématiques communs », explique-t-elle.
« Cultivez votre curiosité ! Il faut oser aller vers les autres et ne pas hésiter à participer à des conférences, à des ateliers pour élargir ses horizons. La recherche est une aventure humaine avant tout. C'est la passion, la persévérance et l'échange qui permettent de repousser les limites de la connaissance », conclut Marie-Constance.
Après des études d’ingénierie en télécommunications, Marie-Constance Corsi a souhaité appliquer ses connaissances à des questions de santé. Elle a mené une thèse en instrumentation biomédicale sur une nouvelle génération de capteurs pour la magnétoencéphalographie (MEG), tout en suivant un master en neurosciences cliniques. En 2016, elle a débuté comme postdoctorante chez Inria dans l’équipe ARAMIS pour proposer de nouvelles méthodes computationnelles visant à améliorer les interfaces cerveau-ordinateur (BCI). Elle a ensuite intégré l’équipe-projet commune NERV en tant que chargée de recherche. Ses travaux actuels se concentrent sur le développement d'outils permettant de réduire la proportion d'utilisateurs de BCI qui ne parviennent pas à contrôler l'appareil même après plusieurs séances d'entraînement et sur le développement d’outils de diagnostic de pathologies neurologiques.
Marie-Constance Corsi et l’équipe-projet commune NERV (Sorbonne Université, Inserm, CNRS, Inria) :
Les interfaces cerveau-ordinateur (BCI) :
HappyFeat :
Les avalanches neuronales :