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Quand sciences du numérique et de la santé s’allient contre une bactérie mortelle

Date:

Mis à jour le 02/09/2025

La collaboration entre des biologistes suédois et des spécialistes de la modélisation et de la simulation d’Inria démontre toute la puissance de l’interdisciplinarité : les chercheurs et chercheuses viennent d’ouvrir la voie à un nouveau traitement contre une bactérie potentiellement mortelle… et même contre de nombreux autres pathogènes.
Streptocoque du groupe A dans le plasma
Centre de bioimagerie de l'Université de Lund (LBIC)

Objectif : lutter contre le streptocoque du groupe A

Streptococcus pyogenes, aussi appelée streptocoque du groupe A (GAS en anglais), est une bactérie responsable de dizaines de maladies (de l’angine à la scarlatine), parfois fatales : elle affiche un taux de mortalité de 10%, toutes pathologies confondues. « Les infections dues au GAS sont en augmentation dans le monde, y compris en France, et certains pays commencent à parler d’épidémie silencieuse, note Hamed Khakzad, chercheur au Centre Inria de l’Université de Lorraine. Nous observons des résistances aux antibiotiques et il existe donc un fort enjeu autour du développement de nouveaux traitements. » 

Or les recherches menées par ce spécialiste de l’analyse des interactions protéine-protéine viennent de faire avancer grandement cette problématique, grâce à une collaboration avec le département des sciences cliniques de l’Université de Lund, en Suède. « Notre travail commun a commencé en 2018, lors de ma thèse à l’université de Zurich, en Suisse, retrace le chercheur. J’étudiais la mise au point d'algorithmes d'apprentissage automatique capables d’identifier des interactions entre des milliers de protéines. Les scientifiques suédois, eux, cherchaient justement à analyser les interactions des protéines du streptocoque du groupe A avec celles du plasma humain. » 

Une protéine de surface de la bactérie, la protéine M1, attire en particulier l’attention des chercheurs, car elle joue un rôle central dans la capacité du pathogène à échapper au système immunitaire humain. Or Hamed Khakzad et ses collègues parviennent à identifier certaines de ses interactions avec les anticorps humains. « Notre idée était d’utiliser ces données pour rendre le système immunitaire humain plus efficace », poursuit le scientifique. 

La force de l’interdisciplinarité

En 2021, l’équipe suédoise ajoute une expertise de plus au projet, celle de Yasaman Karami, spécialiste de la modélisation et de la simulation à l’échelle atomique. « Les anticorps ont la forme d’un Y inversé avec deux jambes, les régions Fab, qui se lient au pathogène, et un tronc, la région FC, qui permet le recrutement des cellules aboutissant à la phagocytose, soit la destruction du pathogène, expose la scientifique. Nous savions que la protéine M1 de la bactérie est capable de bloquer la région FC de l’anticorps et donc lui permet d’échapper au système immunitaire… mais il nous fallait comprendre comment à l’échelle atomique et surtout, tirer parti de cette connaissance pour essayer de l’en empêcher. » 

Ces recherches, Yasaman Karimi et Hamed Khakzad les poursuivent désormais au sein du Centre Inria de l’Université de Lorraine, que tous deux ont rejoint en janvier 2023. Et en combinant ainsi sciences du vivant, algorithmes, modélisation et simulation à l’échelle atomique, les découvertes s’enchaînent. Les deux scientifiques identifient tout d’abord la paire exacte d’amino-acides responsables de l’interaction entre la région FC de l’anticorps et la protéine M1. Puis les biologistes suédois parviennent à extraire des anticorps chez un patient ayant guéri d’une infection à streptocoque du groupe A. À l’aide d’algorithmes d'apprentissage automatique, Hamed Khakzad leur permet de comprendre que l’un de ces anticorps lie ses deux régions Fab à la protéine ; testé chez des souris, il se révèle le plus efficace pour contrer l’infection. 

Il leur est alors possible de modéliser les interactions entre les différentes classes d’anticorps (IgG1, IgG2, IgG3, IgG4) et la protéine M1… ce qui débouche sur un résultat surprenant : « Les IgG3 présentaient la moins bonne affinité de liaison mais le plus haut taux de phagocytose, explique Yasaman Karami. Nous avons alors émis l‘hypothèse que la liaison entre les régions Fab et la protéine M1 était certes importante, mais que la flexibilité de l’anticorps devait l’être également. » Les IgG3 possèdent en effet une charnière plus longue entre la région FC et les régions Fab que les autres classes d’anticorps et sont donc plus "souples".

Un anticorps hybride plus efficace

La modélisation à l’échelle atomique permet encore une fois de vérifier cette intuition et pour les scientifiques suédois, la découverte est cruciale : « Elle relie la flexibilité structurelle aux performances fonctionnelles des réponses immunitaires médiées par les anticorps, expose Pontus Nordenfelt, responsable de l’équipe de l’université de Lund. Elle a permis d'expliquer pourquoi l'IgG3, bien que plus faible en termes de liaison, était plus efficace pour faciliter la réponse immunitaire ; une idée qui ne pouvait être démontrée par la seule analyse structurale statique. »

L’équipe s’appuie alors sur ces nouvelles connaissances pour concevoir un anticorps cumulant le meilleur de chaque classe : la liaison forte des IgG1 et la flexibilité des IgG3. La simulation moléculaire dynamique permet d’en évaluer l’efficacité. « J’ai effectué trois simulations d’une microseconde chacune pour un IgG1, un IgG3 et notre IgG hybride, détaille Yasaman Karami. Ce sont des calculs très gourmands et même en m’appuyant sur les systèmes de calcul intensif de Genci et de Prace, certains ont pris 46 jours ! » 

Mais l’attente est récompensée : l’IgG hybride est bien le plus flexible selon les simulations, donc normalement le plus efficace… ce que confirment les tests in vivo. « C’est une avancée majeure car elle ouvre la voie à une immunothérapie contre la bactérie streptocoque du groupe A », s’enthousiasme Hamed Khakzad. 

Tout au long des recherches, l’équipe a publié une dizaine d’articles dans des revues prestigieuses. Celui présentant justement ce nouvel anticorps hybride dans Nature Communications a été particulièrement remarqué.

Une immunothérapie contre les bactéries mais aussi contre les virus

Il faut dire que cette publication contient un petit bonus : « L’un des relecteurs nous a demandé si nous pouvions prouver que la conception de tels anticorps était pertinente face à d’autres pathogènes, souligne Hamed Khakzad. Nous l’avons donc testée en mettant au point un nouvel anticorps hybride, cette fois à partir d’anticorps IgG1 et IgG3 produits contre le Sars-Cov2, responsable du Covid-19. Et nous avons prouvé chez la souris que notre hybride luttait mieux contre le virus que les anticorps naturels. » 

L’immunothérapie avec de tels anticorps présente donc un potentiel rare puisqu’elle concernerait aussi bien les virus que les bactéries. Sur ce point, un autre article est en cours de révision, mais le détail reste confidentiel car les résultats feront l’objet d’un brevet. « En résumé, cette nouvelle étude vise à prouver que notre méthode de conception d’anticorps hybrides pourrait être généralisée encore à d’autres pathogènes », annonce Hamed Khakzad. Et il y a fort à parier que celle-ci changera définitivement la donne en matière de lutte contre le streptocoque A et bien d’autres causes de maladies…

Yasaman Karami en cinq dates

  • 2016 : soutenance de thèse en sciences du numérique et bio-informatique à Sorbonne Université.
  • 2017 à 2022 : deux postdoctorats, l’un à l’université de Paris, l’autre à l’institut Pasteur.
  • depuis 2023 : chargée de recherche au Centre Inria de l'Université de Lorraine.
  • depuis 2023 : organisatrice du symposium NCSB (Nancy Computational Structural Biology).
  • 2025: obtention d’une bourse de quatre ans du Programme Inria Quadrant pour le projet DynaNova, visant à développer des algorithmes de deep learning pour prédire la signalisation allostérique au sein de complexes macromoléculaires.

Hamed Khakzad en cinq dates

  • 2019 : soutenance de thèse en sciences du numérique à l’université de Zurich, en Suisse.
  • 2019-2022 : deux postdoctorats, l’un au Collège de France, l’autre à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, en Suisse.
  • 2022 : poste de professeur junior au Centre Inria de l'Université de Lorraine.
  • 2022-2025 : obtention de quatre bourses ANR.
  • 2025 : obtention de l’habilitation à diriger des recherches (HDR) et lancement d’une nouvelle équipe-projet Inria avec Yasaman Karami. Elle se concentrera sur la combinaison entre l’étude des dynamiques conformationnelles des macromolécules et le développement de méthodes basées sur le deep learning pour concevoir des nouvelles protéines et de nouveaux traitements, en particulier contre les pathogènes résistants aux antibiotiques.