Je suis LibScience. "Lib" comme librairie mais aussi comme libre. Une librairie scientifique libre d’accès qui veut redonner aux chercheurs et chercheuses la maîtrise de leurs publications. Indispensables pour valider les résultats de recherche et partager les savoirs, celles-ci sont traditionnellement présentées dans des revues spécialisées détenues par des éditeurs et font l’objet d’enjeux financiers importants qui s’appuient principalement sur deux modèles : le lecteur-payeur et l’auteur-payeur. « L’abonnement à une revue spécialisée coûte en moyenne plus de 100 € et lorsqu’on veut faire publier un article il faut compter en moyenne 1 600 €, voire beaucoup plus en fonction de la notoriété de la revue », précise Jérémy Corriger, immuno-allergologue, l’un de mes créateurs avec Pol Reitz, chef de projet à l’INRS, et Pierre-Jean Morieux, développeur indépendant. Il sait de quoi il parle ! Dans le cadre de son parcours de médecin allergologue, il a une trentaine de publications à son actif.
Open access et science ouverte
Dans ce contexte, les mécanismes de sélection ou d’amélioration des manuscrits peuvent souvent manquer de transparence et conduire à écarter ou à différer la publication de certains résultats qui viendraient en concurrence avec les travaux des personnes chargées de les évaluer. « Les problématiques liées à ce modèle centralisé autour des éditeurs portent également sur des questions relatives à la permanence des données, à la propriété intellectuelle mais aussi à l’éthique, à travers tous les processus de reviewing, ajoute Pol Reitz. Malgré le déclin de l’intérêt des maisons d'édition à l'ère numérique, elles demeurent au cœur de l'économie de la recherche. » Pour rompre avec ce type de fonctionnement, des modes de diffusion en open access, fondés sur les principes de la science ouverte, se sont développés au cours des quinze dernières années à travers, par exemple, le modèle "Diamant" soutenu par les institutions publiques.
Du fait des frais techniques ou d'infrastructures qui sont liés à ces nouveaux modes de diffusion, ils n’échappent cependant pas à certaines contraintes économiques. « Quand ils ne sont pas récupérés par les éditeurs qui s’approprient le système, voire dévoient ces principes en proposant des modèles hybrides conduisant à payer, au final, à la fois la publication et l’accès à certains contenus. »
Une nouvelle logique de publication
C'est en reconnaissant ces défis que j'ai été conçu, dans une volonté commune à mes trois créateurs, de proposer un outil de publication efficace, équitable et décentralisé. Quand, en 2021, Jérémy et Pol ont commencé à réfléchir aux solutions qui pouvaient être apportées aux différents problèmes recensés, ils en sont rapidement venus à s’intéresser aux possibilités offertes par les blockchains, ces technologies de stockage et de transmission d'informations sans autorité centrale qui constituent, avec les systèmes distribués, l’ossature du Web3. Selon Pol, « c’est vraiment une nouvelle façon de construire les logiques pour mettre en place une infrastructure décentralisée. » Pierre-Jean les a alors rejoints afin de définir mes principes de fonctionnement et les avantages que je pourrais offrir à mes utilisateurs.
Rendre la gouvernance de la recherche aux chercheurs
Au point de vue financier, tout d’abord. « Les coûts de publication sont calés sur le modèle Diamant, explique Jérémy. C’est donc bien moins cher qu’un éditeur classique, mais en outre les utilisateurs, les reviewers, les superviseurs seront récompensés avec des actifs numériques qu’ils pourront réutiliser pour publier à leur tour. L'idée est de créer un modèle économique circulaire vertueux. » En ce qui concerne la propriété intellectuelle, ensuite, qui sera intégralement conservée par les auteurs. « Notre objectif n’est pas d’être un éditeur, les manuscrits ne seront pas soumis à des droits d’exploitation qui limitent la réutilisation par les auteurs de leurs propres données. »
Par ailleurs, l’historique des publications sera facilement accessible et exhaustif. « Tout est traçable sur la blockchain. Techniquement, il est possible de retrouver toutes les métadonnées liées à un article, de savoir qui l’a soumis et évalué, d’accéder à ses itérations d’amélioration. L’ensemble du processus est transparent. » La permanence des données sera quant à elle garantie : « Dans un système centralisé, si un éditeur ferme, les articles qu’il a publiés pourraient ne plus être accessibles puisqu’il en détient les droits d’exploitation. Avec LibScience, les publications seront stockées de façon distribuée dans des réseaux tels qu’IPFS (InterPlanetary File System) et sur une blockchain publique. Elles resteront accessibles quoi qu’il arrive. » Et pour finir, comme le précise Pol, le principe de gouvernance sera complétement repensé : « Grâce à tout cela, la gouvernance de la recherche est rendue aux chercheurs. Ce sont eux qui prendront les décisions du futur de ce service. Ils définiront dans le temps leurs propres règles, celles avec lesquelles ils vont interagir. »
Avancer plus vite au sein d’Inria Startup Studio
Concrètement, je fonctionnerai comme un site web qui permettra à mes utilisateurs de se connecter à un certain nombre de services distribués. « Le premier objectif est de tester, à partir de début 2024, les fonctionnalités de base liées à l'archive ouverte. Puis d'ajouter une fondation solide pour les outils communautaires (publication et gouvernance) pour proposer notre MVP (Minimal Viable Product : Produit Minimal Viable) courant 2024. L'étape suivante consistera à ouvrir la revue par les pairs sur la plate-forme ainsi qu'à développer notre offre en intégrant une suite d'outils en Saas (Software as a Service : logiciel en tant que service), exploitant de l'IA (intelligence artificielle) pour la veille documentaire, l'analyse et le traitement de données, entre 2024 et 2025. » Pour mener à bien tout cela, Jérémy et Pierre-Jean ont rejoint l’Inria Startup Studio qui, en leur assurant un salaire pendant un an, leur permet de se consacrer à 100 % à mon développement.
La proximité avec les autres porteurs de projets est également un facteur d’émulation important, au même titre que l’accompagnement qui leur est proposé sur des points pratiques, comme par exemple, l’assistance juridique. « Cela nous permet d’avancer plus vite, tout simplement », constate Pierre-Jean.
S’ouvrir à tous les domaines de la recherche
Quant à mes utilisateurs, ce seront en premier lieu les acteurs de la recherche biomédicale. « Il y a deux grandes catégories dans l'édition savante et dans la recherche d’une manière générale, explique Jérémy. Ce qu'on appelle les sciences techniques médicales (STM) et les sciences humaines et sociales (SHS). Entre les deux, il y a des différences significatives dans la façon de conduire une recherche, de formater et évaluer les articles publiés… Nous commencerons par le biomédical parce que c'est le domaine que nous connaissons le mieux de par nos différents backgrounds. » À plus long terme, le but est bien de m’ouvrir à tous les domaines de recherche et à toutes les structures, comme le projette Pierre-Jean en guise de conclusion : « Les utilisateurs de LibScience sont les chercheurs mais nous aimerions proposer aux institutions publiques ou privées de financer la démarche de publication, pour des coûts jusqu’à dix fois inférieurs. »
Un intérêt commun : partager le savoir scientifique
À l’origine du projet LibScience, il y a une histoire d’amitié. Celle de trois personnes qui se connaissent depuis de nombreuses années et nourrissent un même intérêt pour les questions de partage du savoir scientifique. Immuno-allergologue de formation, Jérémy Corriger a mené, en parallèle de ses études de médecine, un master de recherche en immunologie fondamentale pendant lequel il s’est consacré à l’étude de la cytométrie en flux, ce qui lui a permis de développer ses connaissances en matière de traitement informatique des données. Après des années de pratique hospitalière, il se consacre aujourd’hui au développement de LibScience, projet qu’il a monté avec son ami de lycée Pol Reitz. Actuellement chef de projet informatique à l’INRS, celui-ci a suivi une licence en sciences cognitives et informatique puis un master en informatique à la faculté de Nancy.
C’est là qu’il fait la connaissance de Pierre-Jean Morieux, titulaire d’un master en informatique et d’un master Réalisateur vidéoludique. Ce dernier crée sa micro-entreprise et travaille sur différents projets, du serious game aux applications en réalité augmentée, avant de rejoindre l’aventure LibScience.
Depuis octobre 2023, l'équipe s'est étoffée d'un nouveau membre, Louis Neyrand, qui a rejoint l'aventure après la sortie de maturation !