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Claudia Ignat, architecte de la collaboration pair-à-pair en confiance

Date:
Mis à jour le 02/09/2022
Au sein de l’équipe Coast, commune au centre Inria Nancy - Grand Est et au Loria, Claudia Ignat travaille à la conception de systèmes collaboratifs pair-à-pair sans autorité centrale, envisagés comme des alternatives possibles aux GAFAM (acronyme des géants du Web – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Les mots-clés de sa recherche : partage, confiance et confidentialité des données.
Portrait de Claudia Ignat
© Inria / Photo N. Dohr

Au cœur des problématiques de l’autorité centrale

Développer des systèmes collaboratifs pair-à-pair adaptés aux besoins des utilisateurs, résistants aux pannes et aux attaques : c’est l’objectif des recherches menées par Claudia Ignat au sein de l’équipe Coast. « Dans les systèmes collaboratifs existants, un groupe d’utilisateurs travaille à distance sur un ensemble de documents partagés par l’intermédiaire d’une autorité centrale, généralement un GAFAM, détaille-t-elle. Les données personnelles des utilisateurs sont stockées, ce qui peut poser des problèmes de confidentialité. »

Autre problème : les difficultés rencontrées lors de passages à l’échelle liés à l’augmentation du nombre d’utilisateurs (de quelques personnes à une communauté), ces systèmes n’étant pas conçus pour un grand nombre d’usagers malgré un coût d’administration élevé. Par exemple, l’application Google Docs peut accueillir au maximum une cinquantaine de participants : au-delà, toute nouvelle demande d’entrée d’un utilisateur est rejetée. Cette problématique devient cruciale lorsque les collaborateurs modifient des documents de façon simultanée : « Lors de l’intrusion de partisans de Donald Trump dans le Capitole à Washington, le 6 janvier 2021, la page dédiée à ce lieu sur Wikipédia a été modifiée plusieurs fois dans la même minute. Si deux utilisateurs écrivent en même temps, c’est la version de celui qui arrive à sauvegarder ses modifications le plus rapidement qui est prise en compte. »

Construire des systèmes pair-à-pair efficients

Les recherches menées par Claudia et son équipe ont pour enjeu la mise au point d’un système de collaboration sans autorité centrale, dit "pair-à-pair", pouvant accueillir dans le même temps un grand nombre d’utilisateurs et dans lequel chacun puisse contrôler avec quelles personnes il partage ses données. Le premier objectif consiste à assurer la disponibilité des données et la transmission en temps réel à tous les utilisateurs, à l’écran, des différentes mises à jour des documents. « Dans le cadre de plusieurs projets financés par l’ANR et le ministère de l’Économie, nous cherchons à créer des algorithmes de réplication fiables qui puissent générer des copies cohérentes et convergentes, explique Claudia Ignat. Ils doivent aussi passer à l’échelle, c’est-à-dire fonctionner indépendamment du nombre d’utilisateurs. »

L’une des principales problématiques à résoudre dans ce cadre est la bonne prise en compte de toutes les contributions, en particulier dans le cas de changements non miscibles entre eux.

Les algorithmes créés sont évalués lors de collaborations réelles ainsi que par des études d’usage. Une étude menée en coopération avec un professeur de psychologie de Wright State University, dans le cadre d’une équipe associée Inria, a ainsi permis de montrer que l’allongement du délai entre la saisie d’une modification et son apparition à l’écran affecte la performance du groupe, entrainant par exemple des redondances dans les corrections. « Sur un éditeur classique, ce délai peut atteindre quinze secondes, alors qu’il ne dépasse pas deux secondes pour notre éditeur collaboratif pair-à-pair », précise Claudia Ignat. Elle conduit d’autres travaux sur la conscience de groupe, pour déterminer par exemple quel type d’information doit être fourni aux utilisateurs afin de prévenir les conflits et comprendre les divergences lorsque les uns et les autres ne peuvent être évités. Par ses recherches, Claudia contribue à l’enjeu national de souveraineté numérique.

Rivage, logiciel d'édition partagée
© INRIA / Photo H. Raguet
Exemple de collaboration pair-à-pair

Promouvoir une collaboration en confiance

Les travaux de la chercheuse visent également à assurer une collaboration pair-à-pair digne de confiance, où chaque utilisateur peut décider avec quels autres utilisateurs il souhaite partager ses propres données. Au-delà du partage d’informations, c’est aussi la confiance entre collaborateurs à long terme qui est en jeu. « Nous développons des modèles de confiance pour étudier la façon dont on peut choisir ses collaborateurs, en fonction de leur comportement passé, ce qui est utile pour des utilisateurs n’ayant pas encore interagi entre eux. » Dans ce cadre, Claudia conduit d’autres expérimentations avec Wright State University, autour de ce que l’on nomme "le jeu de la confiance". « Il s’agit d’un scénario de collaboration gagnant-gagnant dans lequel, lorsqu’on donne une somme d’argent à un autre utilisateur sans le connaître, on remporte des gains plus importants que si l’on garde pour soi l’argent que l’on possède. Cela enclenche un cercle vertueux de confiance. » Ces expérimentations permettent d’établir, à l’instant t, un indice de confiance basé sur la qualité de la collaboration passée, cette valeur étant dynamique et pouvant évoluer au fil du temps, en même temps que la collaboration elle-même.

 

Son parcours

Diplômée de l’École polytechnique de Cluj-Napoca en Roumanie, Claudia Ignat s’est spécialisée en informatique. Elle a réalisé son projet de fin d’études auprès du professeur Moira Norrie à l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH Zurich), où elle a ensuite préparé une thèse de doctorat. Dans le cadre de sa thèse, Claudia a travaillé sur les algorithmes de réconciliation de données dans les environnements d’édition collaboratifs, partageant son temps entre recherche et enseignement. En 2006, elle a rejoint l’équipe Coast, d’abord pour un postoctorat puis pour un poste permanent de chargée de recherche à Inria. De 2012 à 2019, Claudia a également occupé la double fonction de déléguée aux affaires internationales et européennes du centre de Nancy. Elle vient de soutenir son HDR (Habilitation à diriger des recherches) et prendra les rênes de l’équipe Coast en fin d’année, succédant ainsi à François Charoy. « Je concilie ma vie professionnelle avec ma vie de famille, je suis maman de trois filles âgées de onze, huit et trois ans. Cela me semble important de le dire : il est possible d’être chercheuse et d’avoir en même temps une vie personnelle riche ! » souligne-t-elle.

 

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Six questions pour découvrir Claudia Ignat