Optimisation

De l’algorithme au diagnostic : le parcours exceptionnel d’Émilie Chouzenoux

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Mis à jour le 27/03/2025

Ingénieure de formation, Émilie Chouzenoux s’est passionnée pour l’imagerie médicale dès ses études. Aujourd’hui responsable de l’équipe-projet OPIS, elle développe des algorithmes d’optimisation pour améliorer la reconstruction d’images médicales et faciliter les diagnostics des radiologues. Récemment lauréate du Prix 2025 « Early Career » délivré par la société savante Eurasip, elle revient sur son parcours, les défis des femmes dans les sciences et les évolutions de son domaine face à l’essor de l’intelligence artificielle.
Elles font le numérique, portrait Emilie Chouzenoux, responsable de l'équipe-projet OPIS
© Inria / M. Quet

Quelles ont été les étapes clés de ton parcours qui t’ont menées à une carrière dans la recherche en optimisation mathématique ? 

Je suis ingénieure de formation en automatique et traitement du signal de l’École Centrale de Nantes. Comme la plupart des étudiants, j’ai mis quelques années à trouver le métier et la spécialité que je souhaitais exercer. J'ai toujours été attirée par les mathématiques, leurs applications dans le domaine médical et l’envie d’enseigner pour disséminer le savoir.

J’ai donc exploré plusieurs pistes. Grâce à mes stages dans des cliniques et des laboratoires, j’ai rencontré des chercheurs, des ingénieurs, j’ai découvert plusieurs spécialités appliquées au milieu médical. Mon déclic s’est produit en dernière année, quand j’ai découvert le domaine de la recherche en imagerie médicale et ses problématiques de reconstruction d'images : j'ai immédiatement trouvé ça passionnant. Cette thématique allie à la fois des développements mathématiques, des implémentations algorithmiques, et une application concrète permettant une visualisation directe des résultats.

C’est au moment de ma thèse que j'ai perfectionné mon expertise en optimisation mathématique qui est aujourd’hui au cœur de ma recherche et de mes contributions scientifiques. Mon parcours m'a ensuite conduit à un poste de maître de conférences à l'université Paris-Est, avant de rejoindre Inria en 2016 en tant que chercheuse associée, chargée de recherche en 2019. En 2023, j'ai été promue directrice de recherche à Inria, et j’ai pris la responsabilité de l'équipe-projet OPIS, c’est une évolution importante pour ma carrière. Diriger une équipe est un défi stimulant qui m'a permis d'apprendre beaucoup en management, organisation, relationnel, et en communication. C’est parfaitement complémentaire de mes compétences de chercheuses. 

L’équipe-projet OPIS

Les chercheuses et chercheurs de l’équipe-projet « Optimisation, imagerie et santé (OPIS) » travaillent sur trois sujets :

  • les algorithmes d’optimisation mathématique, leur analyse théorique, et leurs application à la résolution de problèmes de reconstruction/restauration d’images médicales (par exemple, imagerie TEP, microscopie par fluorescence, IRM) ;
  • les méthodes d’analyse de données complexes sous forme de graphes, par exemple pour comprendre le développement de foyers épidémiques sur un territoire ;
  • les techniques d’apprentissage profond, leur design, interprétation, et analyse, motivé par des applications médicales (e.g., aide au diagnostic du cancer du foie à partir de lames d'histopathologie).

L’équipe est commune à trois entités : le Centre Inria de Saclay, CentraleSupélec, et l’Université Paris-Saclay au sein du laboratoire CVN (centre de vision numérique).

L’équipe collaboration avec plusieurs groupes hospitaliers d’Ile-de-France: l’AP-HP, l’hôpital Gustave Roussy, l’hôpital Saint-Joseph ; et plusieurs industriels dont GE Healthcare et Essilor.

Quel regard portes-tu sur la place des femmes dans les sciences du numérique ? 

Je vois principalement deux défis à relever pour les femmes scientifiques. 

Le premier est l'autocensure. J'ai parfois hésité, et cela m’arrive encore, à candidater à des prix ou des concours, pensant ne pas avoir le profil idéal. Heureusement, j'ai eu la chance d'être entourée de collègues bienveillants qui m'ont encouragée à postuler et à croire en mes compétences. Avoir un bon réseau de soutien est essentiel pour briser les barrières que l'on peut parfois s'imposer.

L'autre défi concerne la gestion d'une équipe majoritairement masculine. En tant que femme manager, j'ai remarqué que mes doctorants se confient parfois plus sur des aspects personnels qu'avec mes collègues masculins. Il est important de leur rappeler le cadre professionnel et que, bien que je sois à l'écoute, mon rôle principal est celui de directrice de thèse et de responsable d’équipe. Cela dit, dans mon quotidien, je constate une mixité plus marquée dans mes collaborations avec le milieu médical. Je travaille avec de nombreuses femmes cheffes de service ou radiologues. 

Comment tes recherches en optimisation transforment-elles l’imagerie médicale et l’aide au diagnostic ? 

Je développe des algorithmes pour la reconstruction d'images médicales. Lorsqu'un scanner acquiert des données, il ne produit pas directement une image exploitable, mais des données capteurs bruités et non interprétables. Il faut reconstruire l’image avec la meilleure qualité possible, le plus rapidement possible, et en garantissant sa fidélité à la réalité clinique. L'objectif est d'obtenir, à partir de ces données brutes, des images précises et interprétables par les médecins pour guider les diagnostics et les prises de décision. Et tout ça, rapidement. Les patients dans la salle d'attente du radiologue ne peuvent pas attendre des heures. On travaille même dans des contextes d'imagerie interventionnelle, où l'image doit être affichée immédiatement pour une interprétation directe par le chirurgien. Cela demande d’estimer des millions de variables et donc résoudre un problème d’optimisation mathématique de très grande dimension.

Une de nos missions est d'apporter des analyses théoriques, des sortes de certifications, pour expliquer et améliorer la compréhension de ce qu'il peut se faire dans la pratique clinique. J'ai notamment travaillé avec GE Healthcare sur une étude portant sur une étape clé de la reconstruction d’images de scanner : la rétro-projection. Nous avons caractérisé mathématiquement les conséquences d’une approximation de cette étape, et donné des règles permettant d'assurer la fiabilité des images finales. Trois publications ont un impact fort dans mon domaine : "Solution of Mismatched Monotone+Lipschitz Inclusion Problems", "Convergence Results for Primal-Dual Algorithms in the Presence of Adjoint Mismatch", "Unmatched Preconditioning of the Proximal Gradient Algorithm". Ce résultat à un impact direct sur la qualité des diagnostics et la confiance des professionnels de santé dans ces technologies..

Lauréate du Prix Early Career 2025 délivré par la société savante EURASIP (European Association For Signal Processing)

Ce prix récompense les contributions exceptionnelles d’Emilie Chouzenoux au domaine de l'optimisation du traitement des signaux et des images, avec une application réussie à l'imagerie médicale. « Ce prix est très important pour moi. C’est une reconnaissance du travail accompli au fil des années. Il valide, par mes pairs, l'impact et la visibilité de mes recherches à l'échelle européenne. Je suis aussi fière que ce prix ait été attribué à une femme. Nous sommes encore trop minoritaires dans ces conférences scientifiques, et cela montre l'importance du réseau et de la solidarité entre femmes scientifiques. Ce type de reconnaissance encourage d'autres jeunes chercheuses à persévérer et à croire en leurs compétences. »

Peux-tu nous donner un exemple de l’impact de tes recherches dont tu es particulièrement fière ?

Parmi mes projets récents, une collaboration avec l’Hôpital St Joseph et l’Hôpital Saint-Antoine de l'AP-HP, vise à guider le diagnostic des occlusions intestinales des patients admis aux urgences, grâce à l'IA. Il faut imaginer, il est 3h du matin aux urgences, le patient est admis avec une douleur extrêmement forte et le radiologue doit passer le corps entier au scanner, et prendre une décision de chirurgie avec des conséquences importantes pour la vie du patient. L’analyse des images est longue et très difficile à faire. Nos premiers résultats montrent que notre modèle d'IA est aussi performant qu'un radiologue expert pour détecter une occlusion

Nous travaillons maintenant avec nos partenaires radiologues, sur la question cruciale de la nécessité d'une intervention chirurgicale (ce type de chirurgie peut engendrer de lourdes complications), afin d'aider les praticiens à prendre des décisions plus rapides et précises.

Comment tes recherches évoluent-elles ? L’IA redéfinit-elle les méthodes ? 

Je m'intéresse de plus en plus à l'hybridation entre optimisation mathématique traditionnelle et intelligence artificielle. L'enjeu est d'aller au-delà du simple affichage de l'image et de fournir de plus en plus une aide au diagnostic.

J'aimerais faire des outils IA qui aillent jusqu'au lit du patient. Mais nous n’y sommes pas encore. L'acceptabilité clinique de l'IA reste un obstacle majeur. Il existe une grande méfiance envers ces méthodes, notamment en raison de leur manque de transparence et d’interprétabilité. Pour lever ces freins, nous devons réussir à créer des algorithmes capables d'expliquer leurs décisions et donner des intervalles de confiance (pourcentage de certitude du résultat qui ait du sens), afin que les professionnels de santé puissent les utiliser avec assurance.

Le parcours d'Emilie Chouzenoux en quelques dates 

  • 2007 : ingénieure de l’École centrale de Nantes
  • 2007 - 2010 : doctorat à l’Institut de recherche en communications et cybernétique de Nantes (IRCCyN)
  • 2011 : maître de conférences à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée
  • 2016 : chercheuse associée au Centre de vision numérique (Inria de Saclay - Centrale Supélec)
  • 2017 : habilitation à diriger des recherches
  • 2018 : bourse ANR jeune chercheuse jeune chercheur de 150 000 euros sur quatre ans
  • 2019 : chargée de recherche au centre Inria de Saclay, équipe Opis
  • 2019 : lauréate bourse ERC Starting Grant de 1,5 million €
  • 2023 : responsable de l’équipe-projet OPIS
  • 2023 : directrice de recherche, Centre Inria de Saclay

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