Biologie

À la découverte des réseaux secrets entre plantes et champignons

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Mis à jour le 15/04/2025

Savez-vous que 90 % des racines des plantes sont colonisées par des champignons mycorhiziens qui jouent un rôle clé dans leur croissance ? Des chercheurs d’Inria, en collaboration avec des collègues néerlandais et américains, ont réussi à rendre visibles ces réseaux souterrains. Une prouesse réalisée grâce à l’analyse par imagerie, saluée par la prestigieuse revue Nature.
Une photographie d'un réseaux de champignons mycorhiziens
© Loreto Oyarte Gálvez
 
Une photographie d'un réseaux de champignons mycorhiziens

Le système circulatoire des plantes et champignons à la loupe

Les champignons mycorhiziens ne peuvent pas survivre seuls. Ils dépendent du carbone produit par les plantes via la photosynthèse, qui, de leur côté, s’approvisionnent en azote et en phosphore depuis les réseaux fongiques. Mais comment ces éléments circulent-ils dans les filaments du mycélium, plus mince qu’un cheveu ? 

Pour la première fois, des chercheurs ont pu observer le développement des réseaux fongiques et suivre les flux des nutriments à l’intérieur des filaments, de la plante vers les champignons et vice versa. 

Cette réussite résulte d’une collaboration internationale étroite entre scientifiques : l’équipe-projet Mosaic du Centre Inria de Lyon, l’Institut AMOLF et l’Université libre d’Amsterdam aux Pays-Bas, ainsi que l’Université de Princeton aux États-Unis. 

"Cette découverte est le fruit de plusieurs innovations, dans différentes disciplines", souligne Christophe Godin, directeur de recherche Inria et responsable de l’équipe-projet Mosaic.

L’analyse par imagerie pour explorer les champignons mycorhiziens

Comment l’histoire débute-t-elle ? C’est Corentin Bisot, alors élève ingénieur en master de biologie des sols, entre l’École Polytechnique de Paris et l’université de Wageningen aux Pays-Bas, qui en est à l’origine. « Après avoir vu une conférence TED de la biologiste Toby Kiers de l’Université libre d’Amsterdam sur les champignons mycorhiziens, j’ai pris contact avec elle, se souvient-il. Ces champignons sont fascinants. Ils vivent en symbiose avec la majorité des plantes de la planète. »  Et c’est en découvrant un prototype mis au point par la chercheuse avec l’Institut AMOLF, principalement avec Loreto Oyarte Galvez, qu’il imagine une nouvelle approche : étudier les champignons mycorhiziens en exploitant l’apprentissage automatique sur des images prises par ce robot.

Un robot capteur d’images à une échelle sans précédent

Corentin Bisot rejoint alors l’équipe « Physics of Behavior » d’AMOLF, pour un stage puis une thèse. Dans ce cadre, il utilise le robot conçu précédemment par Loreto Oyarte Galvez et l’ensemble de l’équipe, en vue d’obtenir un grand nombre d’images d’une précision inédite. L’objectif : créer une vidéo accélérée – un time-lapse – de la croissance de l’ensemble du réseau symbiotique, à haute résolution à l’échelle de chaque fil du mycélium.

« Cependant, nous étions confrontés à des obstacles majeurs, notamment le traitement de la masse gigantesque de données collectées, explique le directeur de l’équipe « Physics of Behavior », le biophysicien Thomas Shimizu.

Le système d’imagerie à haut débit peut suivre plus de 500 000 nœuds fongiques simultanément et mesurer 100 000 trajectoires de flux de nutriments à l’intérieur des réseaux. Ainsi, en trois ans de collecte d’images avec le robot, nous sommes en mesure d’en acquérir autant qu’en 100 ans d’observation au microscope par un humain !

Corentin Bisot suggère alors de faire appel à l’équipe-projet Mosaic d’Inria, spécialisée en mathématiques et informatique de la morphogenèse des plantes et d’autres organismes vivants. « Corentin nous a demandé à Thomas et à moi-même de devenir ses directeurs de thèse et nous l’avons accompagné dans l’exploration et la modélisation de cette masse de données », rapporte Christophe Godin.

 

Une photographie d'un réseaux de champignons mycorhiziens
Les champignons mycorhiziens à arbuscules améliorent le flux de transport en élargissant les tubes hyphes et en accélérant les flux le long des « routes principales » du réseau, ce qui met en lumière les principes de conception d'un réseau de chaîne d'approvisionnement symbiotique façonné par des millions d'années de sélection naturelle.

Trouver des astuces pour obtenir des images exploitables

Mais avant cette étape, les chercheurs ont dû relever d’autres challenges. « Pour rendre la croissance des mycéliums visible par le robot imageur, elle devait s’effectuer sur une seule couche dans un milieu transparent », explique Loreto Oyarte Galvez. Pour ce faire, les champignons ont été cultivés dans un gel en symbiose avec le système racinaire d’une plante. 

Ensuite, afin que le robot capture des images exploitables du mycélium, l’inventivité est de mise. L’équipe utilise ainsi des boîtes de Petri séparées en deux par une barrière acrylique et nylon : d’un côté le compartiment racinaire, de l’autre le compartiment fongique. Par ailleurs, une membrane de cellophane a été déposée sur le gel pour contraindre la croissance mycélienne sur une couche seulement dans le compartiment fongique. Sans cette astuce, les filaments auraient pénétré dans le gel et se seraient déployés en trois dimensions.

Les mathématiques à la rescousse pour défricher les données

Sur cette base, le robot mis au point par l’Institut AMOLF enregistre alors des images 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, durant des semaines et des semaines. La croissance du mycélium se matérialise par des traits noirs sur un fond blanc. Afin d’améliorer le contraste et la visibilité des traits, il a d’abord fallu transformer mathématiquement les images. Et pour obtenir la résolution nécessaire à l’étude, les images ont été prises à un niveau très local. En vue d’élargir à l’échelle du réseau entier, Corentin Bisot a développé toute une série d’algorithmes pour reconstruire la dynamique du réseau mycélien complet dans l’ordinateur.

De surcroît, le mycélium est un réseau vivant, où les filaments se croisent, fusionnent, s’emmêlent, ce qui ajoute de la complexité. 

"La difficulté ? Parvenir à extraire des informations pertinentes des images obtenues", confie Corentin Bisot. "L’accompagnement de Christophe Godin a été décisif pour résoudre ce problème".

Le jeune chercheur a développé des outils numériques, fondés sur la théorie des graphes, qui ont permis de mieux comprendre quelles voies du réseau mycélien étaient les plus impliquées dans le transport des nutriments. « Les expériences réalisées ont ainsi montré que les voies les plus centrales assuraient des flux plus rapides, ce qui permet de les repérer et de créer un modèle qui extrapole l’échelle globale », résume Christophe Godin.

Des champignons qui optimisent leur approvisionnement en nutriments

Pour aller plus loin et comprendre le rôle de ces flux, il a fallu recourir à des modèles des processus contribuant à la croissance de ces réseaux. Et l’idée d’un modèle a été inspirée par un ouvrage de vulgarisation sur les champignons, que lisait justement Corentin Bisot.

« L’ouvrage mentionnait une publication de 1989 proposant un modèle mathématique de croissance qui s’est avéré pertinent pour interpréter ce que nous voyions dans les boîtes de Petri, explique l’intéressé. Nous l’avons utilisé pour analyser la façon dont les réseaux fongiques se développent, en réponse à diverses conditions. Les champignons mycorhiziens semblent évaluer l’offre en carbone et la demande de nutriments des plantes, ce qui guide leur façon de construire leurs réseaux, sous forme d’ondes qui se régulent d’elles-mêmes. » 

Grâce à cette évaluation de l’offre et de la demande, les champignons optimisent la surface de mycorhizes sans utiliser trop d’énergie. « Cette capacité d’un organisme qui n’a ni cerveau, ni système nerveux central, à évaluer son environnement, prendre des décisions et faire des choix en permanence pour réguler sa croissance et optimiser son réseau d’approvisionnement en nutriments est remarquable, » s’enthousiasme Thomas Shimizu. Et ses impacts ne s’arrêtent pas là, comme le relève Christophe Godin : « Ces découvertes pourraient avoir des implications pour l’étude d’autres réseaux biologiques, comme le système sanguin ou neuronal. »

Aujourd‘hui, les chercheurs disposent de cartes détaillées des réseaux fongiques, dans lesquelles on peut repérer où chaque filament commence, fusionne et se termine. Un nouveau défi les attend désormais : utiliser ces cartes pour mieux comprendre le fonctionnement des champignons et les tâches d’apprentissage qu’ils peuvent accomplir dans le sous-sol. Car ils n’ont pas encore révélé tous leurs secrets.

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