L’essor des visualisations de données
Voir des athlètes courir, sauter, nager ou disputer des matchs ne suffit plus à assouvir notre soif de sensations fortes. Quand nous regardons du sport à la télévision, nous voulons aussi des données ! Elles se multiplient sur nos écrans, rappellent des éléments de contexte (nom et drapeau du pays des concurrents), ajoutent du suspense (va-t-elle battre le record du monde ?), analysent la performance en direct (temps de possession de balle), éclairent les initiés sur des détails techniques (nombre de watts produits)…
Toutefois, ces pratiques de « visualisation de données » restent empiriques. Les chaînes de télévision expérimentent, observent ce qui se fait ailleurs, adoptent des standards de facto. Sans savoir si les téléspectateurs apprécient, et sans le valider par des études scientifiques.
Des visualisations statiques et beaucoup de données inexploitées
De plus, de multiples possibilités ne sont quasiment pas utilisées.
Verbatim
On voit beaucoup de visualisations statiques placées dans un coin de l’image, mais peu de visualisations mobiles qui suivent l’athlète sur l’écran. Autre exemple : des données faciles à collecter ne sont jamais exploitées.
Chercheuse au sein de l’équipe-projet AVIZ
« En natation, nous en avons recensé plus d’une vingtaine », illustre Petra Isenberg, directrice de recherche dans l’équipe Aviz (Inria de Saclay, Université Paris-Saclay, CNRS) au sein du LISN.
Ces sujets en friche suscitent eux-mêmes de multiples questions. Quelles seraient, justement, les données les plus pertinentes pour rendre une course attractive ? Lesquelles afficher et à quel moment d’une épreuve ? Combien faut-il en proposer pour pimenter la retransmission sans envahir l’écran et gâcher le plaisir du téléspectateur ?
« Le domaine de recherche est vaste, reprend Petra Isenberg. Nous nous focalisons pour notre part sur la conception des visualisations mobiles : quelles sont les bonnes pratiques, de quels outils ont besoin les designers pour travailler ? Nous étudions les compétitions de natation, car nous disposons de vidéos libres de droits ».
Les passionnés de natation en quête de données
Romain Vuillemot, chercheur au laboratoire Liris (CNRS) et coéquipier de Petra Isenberg sur ce sujet, participe depuis 2020 au projet ANR Neptune, dont l’objectif est d’aider les entraîneurs de natation et paranatation à préparer au mieux les JO 2024 de Paris. À ce titre, il peut utiliser des vidéos des championnats de France 2021, disputés à Montpellier ; celles-ci sont enrichies de données sur les athlètes et leurs performances.
Le choix de la natation présente un autre intérêt : les images brutes de compétitions sont peu lisibles pour les non-initiés. Difficile de savoir qui évolue dans quel couloir, qui est en tête, qui double qui. D’autant que les nageurs changent régulièrement de direction ! « Un bon cas d’étude pour évaluer si les visualisations mobiles aident à mieux comprendre ce qui se joue, racontent une histoire et améliorent l’expérience des téléspectateurs » résume Romain Vuillemot.
Les chercheurs ont d’abord interrogé des passionnés de natation sur les données qu’ils aimeraient voir s’afficher pendant les épreuves. Sont ressorties par exemple les prédictions sur la possibilité de battre un record, la durée moyenne d’un mouvement complet de crawl, de papillon ou de brasse, la vitesse des nageurs, l’avance du leader de la course sur ses poursuivants, etc.
Le défi : concevoir les visualisations en conditions réelles
Les travaux se sont poursuivis avec des designers spécialisés. Ils ont été invités à concevoir des visualisations pour les données citées précédemment, sur des feuilles transparentes superposées à une photographie d’un bassin pendant une compétition. L’exercice a donné naissance à 46 propositions, sous forme de texte, de lignes, de pictogrammes ou de graphiques.
Mais travailler sur des photographies plutôt que sur des vidéos rendait la tâche difficile. Ce qui a décidé l’équipe à développer SwimFlow, un outil de création de visualisations de données.
« C’est un premier prototype permettant de définir le contour d’un futur logiciel, précise Romain Vuillemot, afin de mettre des designers en situation réelle de conception de visualisations de données et d’engranger des retours d’expérience ».
SwimFlow exploite la vidéo d’une épreuve de Montpellier et ses données associées. Il propose un large choix de modes de visualisation et de types d’insertion (fixe ou mobile, emplacement, taille, etc.), ainsi qu’une fonction de lecture des vidéos enrichies.
Pour les designers mis à contribution, la découverte de leurs visualisations en conditions réelles a été décisif. « Après visionnage, ils les ont modifiées, complétées, parfois supprimées, explique Petra Isenberg. Ils réalisaient par exemple qu’un graphique serait plus parlant qu’un texte, que la couleur retenue se confondait avec le fond d’image ou qu’ils s’étaient trompés sur la direction des nageurs. »
Définir l’instant T pour afficher des données
L’équipe poursuit ses recherches sur une version plus élaborée, SwimFlow2. Elle permet notamment de paramétrer le moment où des données s’affichent, en fonction des circonstances de course : indiquer les distances de plongée juste après le départ, rappeler le record du monde si un athlète semble en passe de le battre, matérialiser l’écart entre deux nageurs qui se disputent la victoire, etc.
Autre amélioration : des templates qui évitent de réinventer les visualisations à chaque compétition, et facilitent la personnalisation de la vidéo en fonction des usages.
« Nous espérons à terme retransmettre ces visualisations en direct et viser le grand public, précise Romain Vuillemot. Mais il reste à résoudre le problème de la collecte de données en temps réel et de leur intégration dans les systèmes de production du diffuseur. »
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Une vidéo enrichie en visualisations de données peut aussi servir à un entraîneur, à une fédération sportive qui recrute de nouveaux licenciés, à un club qui propose les compétitions de ses athlètes sur sa chaîne YouTube, etc.
Chercheur au laboratoire LIRIS (CNRS)
Deux autres sports à l’horizon
Or, chaque public a ses priorités. L’entraîneur voudra de la technique : distances de plongée, vitesses instantanées, durées de mouvements de nage. La fédération, elle, préférera les indicateurs qui créent du suspense : écarts entre compétiteurs, barre qui se déplace à la vitesse nécessaire pour battre un record… Quant au club, il aura envie de valoriser ses nageurs par des likes, des émoticônes, etc.
« SwimFlow2 suscite déjà l’intérêt de startups et de ligues régionales de natation, sourit Petra Isenberg. L’objectif est de l’améliorer et peut-être, de le proposer un jour en open source dans une version simplifiée. Mais pour en faire un produit et le diffuser largement, il faudrait un financement conséquent ». La chercheuse compte également élargir ses travaux sur la visualisation mobile de données à deux autres sports : le tennis de table, qu’elle pratique régulièrement, et l’escalade.
* Outre le CNRS, ce laboratoire relève également de l'INSA de Lyon, de l'Université Claude Bernard Lyon 1, de l'Université Lumière Lyon 2 et de l'École Centrale de Lyon.
En savoir plus
- Représenter les données du sport de haut niveau (vidéo), Insep, 5/7/2022.
- Numérique et performance sportive : comment la recherche aide à repousser les limites des athlètes, Inria, 17/4/2024.
- La visualisation comme vous ne l’avez jamais vue, Inria, 7/12/2020.
- Sports : quand les données permettent de tout savoir sur son adversaire, The Conversation, 10/10/2023.
- Projet NePTUNE : un projet de recherche lauréat de l’appel à projets « Sport de très Haute Performance »