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Quand informatique et psychologie s’allient au service de la sécurité civile

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Mis à jour le 04/03/2025

Les professionnels de la sécurité civile (pompiers, gendarmes, secouristes...) ont-ils fait évoluer leurs systèmes collaboratifs numériques depuis le Covid ? Et comment répondre au mieux à leurs besoins ? Voilà les questions auxquelles s’attache à répondre la thèse de Lisa Formentini, doctorante dans l’équipe-projet Inria Coast, commune avec le CNRS et l’Université de Lorraine et rattachée au Loria. Une rencontre entre sciences du numérique et psychologie cognitive qui colle au parcours de la jeune chercheuse. L’objectif à terme ? Ouvrir la voie à de nouveaux outils logiciels adaptés à ces professionnels.
Intervention sapeurs pompiers
SDIS57/Anthony BOUGES

Étudier des systèmes collaboratifs numériques dans leur environnement

Aider ceux qui aident : voilà ce qui a motivé Lisa Formentini, doctorante Inria, à se lancer en octobre 2023 dans une thèse portant sur les organisations de sécurité civile. « Mon objectif est de comprendre comment et pourquoi le Covid a fait évoluer les pratiques collaboratives de ces professionnels, d’identifier leurs problématiques, de faire remonter leurs besoins… avec à terme l’espoir que les concepteurs d’outils numériques s’emparent de ces travaux pour mettre au point des solutions réellement adaptées à l’environnement de ces services », explique la jeune chercheuse.

Ce domaine de recherche porte un nom : le CSCW (Computer-Supported Cooperative Work ou travail coopératif assisté par ordinateur). Et la doctorante l’étudie à travers une lentille particulière : la "visualisation des écologies d’artefacts", c’est-à-dire l’observation des réseaux de collaborations numériques ; les artefacts pouvant être matériels (ordinateurs, téléphones…) ou logiciels (intranet, espaces de stockage partagés, applications…). Une voie de recherche exploratoire à la croisée de l’informatique, de la psychologie cognitive et de la psychologie sociale, identifiée par Inria et le PEPR eNSEMBLE (voir encadré) et qui correspond parfaitement au parcours de Lisa Formentini. 

Passionnée par la psychologie 

Cette touche-à-tout a en effet enchaîné une licence en psychologie avec une première année de master en Digital science, puis un nouveau master en Dynamique cognitive et sociocognitive. « Je savais que je voulais faire de la recherche en psychologie et que pour cela, il me fallait de l’outillage, explique-t-elle. Comment, par exemple, vouloir creuser la question de la psychologie et de l’IA sans connaître les tenants et les aboutissants de cette dernière ? Le premier master visait à me donner ces clés ; le second à approfondir mes premières amours en m’intéressant plus précisément à la psychologie cognitive, c’est-à-dire à l’étude des fonctionnements cognitifs, et à la psychologie sociale, qui correspond à l’étude de l’individu au sein d’un groupe. »

En parallèle de ses études, Lisa Formentini expérimente par elle-même les pratiques collaboratives, d’abord en travaillant avec des amis à l’organisation d’un TEDx en Belgique (dont malheureusement le Covid ne permettra pas la concrétisation), puis grâce à l’incubateur Matrice. Celui-ci lui offre l’occasion, avec d’autres étudiantes et étudiants au parcours pluridisciplinaire, de proposer un projet à destination d’entreprises de l’événementiel. L’idée présentée par Lisa Formentini et ses collègues ? Créer une IA capable de quantifier l’attractivité d’un espace physique, afin d’orienter les choix des entreprises organisatrices d’événements. Et celle-ci est soutenue par Matrice. « Pendant un an, nous avons travaillé ensemble à la création d’une microentreprise pour développer notre projet, retrace Lisa Formentini. Puis chacun est un peu parti de son côté et celui-ci s’est naturellement arrêté. Mais là encore, ce fut une très bonne collaboration ! » 

Mieux comprendre les évolutions collaboratives liées au Covid

Forte de toutes ses expériences, l’étudiante n’hésite pas vraiment lorsqu’elle voit passer l’offre de thèse publiée par Inria : « Celle-ci demandait des compétences techniques en informatique, une maîtrise des méthodes de recherche qualitative et un intérêt pour l’étude des pratiques collaboratives… Elle semblait faite pour moi ! s’enthousiasme la doctorante. De surcroît, l’aspect très pluridisciplinaire demandé par Inria et le fait qu’il s’agisse d’un vrai travail de terrain m’ont tout de suite plu. » 

La discussion avec les directeurs de thèse, François Charoy (professeur à l'Université de Lorraine et membre de l’équipe-projet Coast) et Matthieu Tixier (université de technologie de Troyes), achève de la convaincre quant aux bénéfices que celle-ci pourrait avoir sur les services de sécurité civile.

Un an plus tard, Lisa Formentini a déjà bien défriché le sujet. « Les six premiers mois ont été consacrés à établir une revue de littérature, aux discussions avec différents professionnels de la sécurité civile (pompiers, gendarmes…) et aux réunions avec mes directeurs de thèse, détaille-t-elle. D’une part, cette étape m’a permis de mieux cerner et définir l’écologie des artéfacts et les théories qui l’entourent, de me plonger dans l’histoire de la sécurité civile et finalement de mieux comprendre ce qui était attendu de moi. D’autre part, j’ai pu identifier les outils et pratiques collaboratives préCovid dans les services et donc avoir une base sur laquelle commencer mes recherches. » 

Répondre aux besoins réels des professionnels

Ses recherches reposent sur deux sources principales : les entretiens avec les sapeurs-pompiers du SDIS 57 (Service départemental d'incendie et de secours de la Moselle) et l’observation sur le terrain. Lisa Formentini a ainsi déjà mené une vingtaine d’interviews, visant à connaître les missions et l’organisation des professionnels, ainsi que l’usage qu’ont ceux-ci des différents outils numériques, le contexte dans lequel ils ont commencé à les utiliser, leurs pratiques collaboratives sur le terrain, etc. Les observations quant à elles ont lieu lors d’entraînements ou grâce à la visite d’espaces physiques, comme les cellules de crise. 

« Ces deux méthodes sont très complémentaires : les entretiens ont par exemple révélé que le Covid a influencé chaque service différemment et que ces évolutions se poursuivent, expose la doctorante. Ainsi, pendant la pandémie, les pompiers ont utilisé un système de visioconférence pour se parler puisqu’ils ne pouvaient pas être ensemble à la caserne, mais l’usage de celui-ci se perd à présent. Les observations quant à elles attirent notre attention sur des outils ou des pratiques dont les professionnels ne pensent pas forcément à parler en entretien, parce qu’ils sont par exemple trop évidents pour eux, mais qui méritent d’être étudiés. »

Un premier article devrait être publié dès l’année prochaine grâce aux données déjà récoltées. Le sujet ? L’introduction de nouveaux outils numériques dans le SDIS57. « À partir de l’expérience, il vise à démontrer à quel point l’environnement de travail est important et qu’il est donc impératif de le prendre en compte dès la conception des outilsrésume Lisa Formentini. Si un logiciel est très bien conçu mais ne répond pas à un besoin réel ou ne s’intègre pas dans l’environnement existant, il sera inutile. » 

Une première illustration de la complémentarité entre informatique et psychologie : l’une fournit les objets d’étude et l’autre les méthodes. Prometteuses, les recherches de Lisa Formentini vont se poursuivre pour justement définir au mieux ces environnements et leurs besoins.

Une thèse eNSEMBLE

Outre sa pluridisciplinarité, la thèse de Lisa Formentini présente une autre particularité : elle est financée par le PEPR eNSEMBLE. Que sont les PEPR ? Ce sont les « Programmes et équipements prioritaires de recherche exploratoire », financés par France 2030 pour « structurer la recherche en construisant ou consolidant un leadership français ». Le PEPR eNSEMBLE, piloté par l'université Paris-Saclay, l'université Grenoble Alpes, Inria et le CNRS, a pour objectif de « redéfinir en profondeur les outils numériques pour la collaboration ». Ce à quoi la doctorante espère bien contribuer.