Santé - Médecine personnalisée

L’action exploratoire A/D Drugs veut optimiser la neurostimulation

Date:
Mis à jour le 12/12/2022
Dans la prise en charge des troubles mentaux, l’apparition de résistances aux traitements est un problème majeur. Remplacer le médicament analogique (une substance chimique) par un médicament digital (une stimulation neuronale) pourrait permettre de contourner le problème. C’est l’objectif de l’action exploratoire A/D Drugs, qui mettra en jeu un procédé d’assimilation de données et de contrôle permettant d’adapter la stimulation au patient. Une recherche à risques, car les liens entre action des molécules chimiques et neurostimulation sont encore très mal connus.
Centre d'évaluation et de traitement de la douleur de l'hôpital Ambroise Paré
© Inserm/Delapierre, Patrick

Un enjeu de santé majeur

25 % : c’est la proportion de la population mondiale concernée par un trouble mental, à un moment ou à un autre de sa vie selon l’OMS. S’il existe de nombreuses molécules dans le champ de la santé mentale, un tiers des patients ne répond pas à ces traitements médicamenteux ou y développe une résistance. Une piste de solution se dessine depuis quelques années, la neurostimulation. Il s’agit de venir exciter des parties spécifiques du cerveau, depuis l’extérieur du crâne, via un courant électrique ou un champ magnétique. Mais le lien entre les deux approches, médicamenteuse et digitale, reste encore à faire. C’est le défi que s’est lancé Axel Hutt, directeur de recherche au sein de l’équipe Mimesis.

Des approches qui ont fait leur preuve

Déjà autorisés par de nombreuses agences de contrôle sanitaire, les traitements par stimulation électromagnétique ont des applications dans le traitement de la dépression, comme l’explique le chercheur canadien Jérémie Lefebvre (voir encadré) qui collabore depuis des années avec Axel Hutt. C’est également le cas pour les douleurs chroniques ou certains symptômes de la schizophrénie. « Les résultats de ces neurostimulations sont similaires à ceux des médicaments, mais les mécanismes d’action sont mal compris », souligne Axel Hutt. Difficile dès lors d’adapter la prise en charge aux mécanismes neuronaux de chaque patient. D’autant que, si ces traitements sont déjà efficaces, la recherche actuelle sur la stimulation cérébrale adopte des procédures de stimulation en « boucle ouverte », c’est-à-dire que l’effet instantané du traitement sur l'activité neuronale n’est pas pris en compte pour la poursuite de la stimulation.

Le pari : faire évoluer les traitements empiriques…

De la même façon qu’on peut convertir un signal analogique en signal numérique, l'objectif de l’action exploratoire A/D Drugs est d’identifier comment convertir l’effet d’un médicament chimique en un « traitement numérique » (ou digital drug en anglais).
Une idée simple, mais un projet à risque, car si « la littérature scientifique donne de nombreuses indications sur l’existence de tels liens, ils sont pour la plupart inconnus. »

Pour le mener à bien, les fonds alloués par Inria permettront de financer un doctorat en codirection entre Axel Hutt et son proche collaborateur Didier Pinault, de l’équipe Inserm 1114. Celui-ci travaille sur un modèle animal de schizophrénie obtenu par traitement médicamenteux du rat. Soumis à une certaine drogue, la kétamine, l’animal développe des rythmes cérébraux spécifiques, caractéristiques de cette pathologie. Traités avec un médicament antagoniste du premier, les rats retrouvent des rythmes cérébraux normaux. Le sujet de la thèse sera donc de développer un modèle numérique capable de rendre compte des modifications cérébrales impliquées dans ces rythmes pathologiques. Il s’agira également de prédire quelle neurostimulation appliquer pour se substituer au médicament qui les fait disparaitre.

… vers une prise en charge optimale

À terme, l’objectif de cette action de recherche est de développer un protocole de stimulation dit « en boucle fermée », c’est-à-dire où les paramètres de la stimulation suivante sont ajustés en fonction des données de l’enregistrement cérébral. C’est ici qu’entre en jeu la technique d’assimilation des données dans laquelle Axel Hutt s’est spécialisé durant quatre ans passés au Deutscher Wetterdienst sur des simulations de… météo. Un choix de carrière qui prend tout son sens avec quelques explications : « Je suis physicien et il s’agit de modélisations physiques et mathématiques. Je savais que je pourrais adapter cette approche aux neurosciences, car il existe de grandes similarités techniques entre la simulation de l’atmosphère et de la météo, et celle du cerveau. »

L'assimilation et le contrôle des données vise ici à estimer les paramètres des neurostimulations en combinant les prédictions du modèle et les données issues de l’enregistrement cérébral simultané. Cette combinaison entre neurosciences théoriques et expérimentales est une clé pour développer un protocole adapté à chaque patient.

Une future équipe-projet ?

Si l’action est couronnée de succès, celle-ci pourrait déboucher sur la création d’une équipe-projet dédiée, en partenariat avec l’Inserm via l’équipe de Didier Pinault, installée à Strasbourg, tout comme Mimesis. La ville présente une situation géographique idéale pour établir et renforcer les collaborations avec l’écosystème alsacien, très riche sur le plan de la médecine et des neurosciences. Plus largement, cette équipe bénéficierait de la proximité de l’Allemagne, du Luxembourg, de la Belgique et de la Suisse, où les deux partenaires ont de nombreux collaborateurs et où la scène neuroscientifique est bien développée. « Si cela relevait de ma seule décision, la thématique de l’équipe tournerait autour de la neurostimulation et de l’anesthésie, sur laquelle je travaille depuis plus de quinze ans. Mais cela dépendra évidemment aussi des partenaires qui viendront travailler avec moi », sourit Axel Hutt. Le prochain objectif est en tout cas déjà identifié : décrocher une ERC Advanced Grant pour continuer ces travaux et répondre aux appels à projets européen et ANR, pour faire vivre la collaboration avec l’Inserm 1114, le CEMNIS (CEntre de neuro-Modulation Non-Invasive de Strasbourg) et leurs collaborateurs historiques.

Pour en savoir plus

  • La problématique de l’impasse de la médication chimique dans traitement de troubles mentaux

« La résistance pharmacologique dans les pathologies psychiatriques. Exemple de la dépression, la schizophrénie et l'autisme », Maud Rothärmel, juin 2020

  • Comment fonctionne la stimulation électrique transcrânienne

« What is trans-cranial direct current stimulation and what are the benefits? », Daniel Lane, The Brain Centre, YouTube, 19 décembre 2019

  • Comment fonctionne la stimulation magnétique transcrânienne 

« Transcranial magnetic strimulation : what is it and how does it work? », Tennessee TMS Centre, YouTube, 19 mars 2014

  • Pourquoi et comment la neurostimulation peut soigner les dépressifs

« Contrôler la pensée avec des aimants : un traitement prometteur contre la dépression », Jérémie Lefebvre, The Conversation, 10 juin 2020

  • Explications des thérapies par TMS sur des patients atteints de dépression ou de schizophrénie

« TMS en Psychiatrie », AP-HM mag flash, YouTube, 6 janvier 2014