Marielle Simon, ou le bon usage des maths pour scruter l’infiniment petit
Mis à jour le 04/08/2022
Les physiciens savent décrire sous forme d’équations la conduction de la chaleur dans une pièce, l’écoulement d’un fluide dans un milieu poreux ou la fonte d’un glaçon plongé dans l’eau. Mais leurs modèles sont macroscopiques et laissent de nombreuses questions en suspens. C’est pourquoi Marielle Simon, chargée de recherche dans l’équipe Paradyse* à Inria Lille - Nord Europe, s’attache à modéliser ces phénomènes au niveau microscopique. Son principal outil : les mathématiques.
Pourquoi ne pas se contenter des descriptions macroscopiques de phénomènes physiques, puisqu’elles existent et sont validées ?
Ma finalité est scientifique : mieux comprendre le monde qui nous entoure en scrutant l’infiniment petit. C’est un domaine où il reste beaucoup à faire. Le mathématicien Joseph Fourier a défini dès 1822 l’équation de la chaleur, qui décrit par exemple la conduction de la chaleur dans une pièce où un radiateur fonctionne. Mais 200 ans plus tard, personne ne sait décrire rigoureusement comment les molécules d’air chaud circulent.
À long terme, on peut imaginer des applications. Le jour où nous comprendrons précisément les déplacements des molécules d’air dans un ouragan, il sera possible de prédire leur trajectoire et d’éviter de mettre en alerte des millions de personnes, comme ce fut le cas en Floride en 2019 avec l’ouragan Dorian. Mais nous en sommes encore loin.
L’informatique n’est-elle pas plus appropriée que les mathématiques pour un tel sujet ?
Les phénomènes que j’étudie mobilisent des milliards de milliards de particules en interaction. Aucun ordinateur n’est capable d’absorber des problèmes aussi complexes. Il faut s’appuyer sur les maths pour modéliser à l’échelle microscopique, puis prouver que ce modèle correspond bien à la réalité macroscopique que nous connaissons.
Mais je m’appuie aussi sur l’informatique. Avec des spécialistes en simulation moléculaire, nous développons nos propres modèles, simplifiés par rapport à la réalité pour être exécutables, et les simulations nous disent s’ils sont cohérents ou non. Sur ce point, l’ordinateur peut être bien plus rapide qu’une vérification à la main.
Quels phénomènes physiques modélisez-vous ?
En ce moment, j’étudie des phénomènes qui présentent des "interfaces mobiles", c’est-à-dire une séparation entre deux milieux qui évolue avec le temps. Exemples : un glaçon qui fond dans l’eau, un fluide qui s’écoule dans un milieu poreux, de l’air chaud dans une pièce froide… Ces phénomènes sont décrits à l’échelle macroscopique par ce qu’on appelle des "équations aux dérivées partielles". Pour vérifier que mes modèles microscopiques respectent ces équations, je dois prouver des théorèmes que l’on appelle des "limites hydrodynamiques".
Ce travail s’effectue au sein de mon équipe Inria et en collaboration avec des chercheurs en mathématiques et physique théorique, principalement à Paris et Lyon, mais aussi en Italie, en Allemagne et au Portugal.
En quoi votre démarche est-elle différente de celle d’autres spécialistes en modélisation de phénomènes microscopiques ?
Mes modèles prennent en compte des aléas : mon glaçon peut fondre plus vite d’un côté que de l’autre ; la particule d’eau qui s’écoule dans un milieu poreux peut à tout instant partir vers la droite ou la gauche. Cela complique la description des systèmes que j’étudie. Mais en contrepartie, je peux m’appuyer sur la théorie des probabilités, qui fournit de puissants outils mathématiques utilisés également en finance, en biologie ou en épidémiologie. Pour dire les choses autrement, je choisis un chemin plus tortueux mais je m’y engage en étant mieux armée.
Un résultat marquant issu de vos travaux ?
En 2018, j’ai publié un article sur la conduction de chaleur à l’intérieur d’un nanotube, objet dont le diamètre intérieur ne dépasse pas le millionième de millimètre. Dans ce contexte, l’équation de la chaleur de Fourier n’est plus vérifiée : les atomes d’air se déplacent selon une dynamique différente, que nous avons décrite et validée avec mes collaborateurs. Ce qui est vrai en 3D, par exemple dans une pièce, ne l’est plus dans un nanotube qu’on peut considérer comme un objet 1D.
Vous êtes avant tout chercheuse en mathématiques. Pourquoi avoir intégré Inria ?
Pendant ma formation en maths à Normale Sup Lyon, je m’étais spécialisée en théorie des probabilités. Or, c’était la compétence dont l’équipe Paradyse avait besoin quand elle m’a recrutée en 2016. Et pour ma part, comme je l’ai expliqué, je peux collaborer avec des chercheurs en simulation numérique.
Inria a été pour moi un tremplin et un accélérateur. J’ai été lauréate en 2019 du dispositif Jeunes chercheuses et jeunes chercheurs de l’Agence nationale de la Recherche, qui va m’accorder une bourse sur quatre ans. Tout récemment, j’ai obtenu mon habilitation à diriger des recherches (HDR), ce qui va me permettre d’encadrer un doctorant et un postdoctorant qui travailleront avec moi.
Qu’auriez-vous envie de dire aux jeunes femmes tentées par une carrière dans le numérique ?
Osez ! Ne vous abstenez pas par peur, ou parce qu’on vous affirme que ce sont des métiers masculins. Venez visiter des labos, échangez avec des chercheurs et chercheuses, et si c’est votre voie, lancez-vous ! Je déplore qu’il y ait autant de filles en terminale S et si peu de femmes scientifiques. Pour ma part, je ne regrette pas un instant d’avoir choisi ce métier.
*Paradyse est une équipe commune à Inria et au laboratoire Paul Painlevé (CNRS, Université de Lille)
Marielle Simon, chargée de recherche Inria, bio express
• 2011 : agrégation de mathématiques
• 2011 – 2014 : thèse de mathématiques
• 2014 – 2015 : postdoctorat à Rio de Janeiro (Brésil)
• 2016 : chargée de recherches à Inria Lille – Nord Europe
• 2019 : habilitation à diriger des recherches (HDR), lauréate du dispositif Jeunes chercheuses et jeunes chercheurs de l’ANR