Modélisation et Simulation

Les micro-réseaux électriques en quête de stabilité

Date:
Mis à jour le 30/10/2024
Pour faciliter la transition énergétique, les micro-réseaux électriques représentent une solution de choix. Cependant, leur manque de stabilité freine leur développement. Orchestré par une équipe d'Inria et des chercheurs allemands, le projet SyNPiD vise à améliorer leur fiabilité grâce au développement de méthodes mathématiques d'analyse et de mise en œuvre de l'auto-synchronisation.
© Brandenburg University of Technology Cottbus-Senftenberg


La demande mondiale d'énergie pourrait augmenter de 40% d'ici à 2040 selon l'Agence internationale de l'énergie. Face à ce constat, l’amélioration de la distribution et de l'accès à l'électricité s’impose. Parmi les solutions proposées : les micro-réseaux (ou « microgrids »), qui incluent les consommateurs et les producteurs locaux durables de l’énergie (utilisant les panneaux photovoltaïques ou des éoliennes, par exemple). Plus adaptés à une échelle moindre, comme une petite ville ou un village, ces réseaux électriques miniatures ne dépassent pas quelques mégawatts. En cours de déploiement, ils rencontrent néanmoins une faiblesse : ils tolèrent moins bien les variations de charge, de production, et de fréquence.

Pour corriger ce défaut, Inria a lancé le projet SyNPiD (pour "auto-synchronisation dans les réseaux électriques avec dynamique périodique"). L’objectif ? Étudier en détail ces systèmes électriques plus petits et plus difficiles à stabiliser, et les faire fonctionner de manière optimale grâce à la modélisation mathématique.

Des réseaux vulnérables aux variations

« Nos dispositifs pour modéliser l'utilisation d'énergie, comprendre les variations de fréquence et les gérer sont adaptés aux grandes échelles. Là, il faut tout réinventer et trouver de nouvelles approches », souligne Denis Efimov, coordinateur de SyNPiD et responsable de l’équipe-projet Valse au centre de Inria de l’Université de Lille (commune avec Centrale Lille et CRIStAL). En collaboration avec une équipe de l'Université de technologie de Brandebourg Cottbus-Senftenberg (BTU) en Allemagne, le chercheur et ses collègues ont conçu un cadre méthodologique d’analyse mathématique afin de gérer les variations de fréquence dans les micro-réseaux.

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denis Efimov
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Dans une grande agglomération, nous savons à quelles heures de la journée la consommation électrique va être la plus forte. Des pics sont prévisibles, et même si quelques variations apparaissent, le réseau est suffisamment solide pour les prendre en charge sans qu’une coupure ne survienne. Or ce n'est pas le cas avec les micro-réseaux.

Auteur

Denis Efimov

Poste

Directeur de recherche Inria

Par exemple, à l'échelle d'un village de quelques centaines d'habitants, si un conducteur arrive et charge sa voiture électrique, une importante variation se produit et bouscule le micro-réseau peu habitué à ce type de débit. Une telle opération requiert environ 30 kWh, ce qui est considérable à cette échelle... Résultat, le réseau disjoncte automatiquement !

Un facteur de transition énergétique

Ce problème doit être pris très au sérieux, car les micro-réseaux ont un rôle important à jouer dans la transition énergétique. Ils sont ainsi mieux adaptés que les gros pour utiliser des sources d'énergie renouvelable, ce qui est activement recherché. En France, le parc solaire photovoltaïque produit aujourd’hui 21,1 GW et les éoliennes 23,8 GW. Des chiffres en augmentation constante, mais encore loin de l’objectif gouvernemental de 101 à 113 GW de capacité d'énergie renouvelable d'ici à 2028.

Autre atout des micro-réseaux : ils distribuent l'électricité uniquement à l'échelle locale, ce qui diminue les coûts de l'acheminement et réduit les pertes. Sans compter les bienfaits sociétaux d'un système qui favorise la production d'énergie locale, les initiatives incluant les structures plus modestes, et les partenariats entre des acteurs basés sur un même territoire.

Les micro-réseaux sont particulièrement conseillés sur les îles aujourd'hui très dépendantes du pétrole, mais aussi dans les zones rurales isolées, notamment sur le continent africain qui compte de nombreuses populations sans électricité. Ils sont aussi bien adaptés pour approvisionner en énergie un ensemble de bâtiments comme un campus, voire des immeubles d'habitation. Mais encore faut-il que leur système soit fiable, sans risque de disjoncter à la moindre variation !

"À l'intersection de nos spécialités"

Comment les chercheurs du projet SyNPiD ont-ils procédé pour améliorer cette fiabilité ? « La difficulté, c'est de modéliser ces petits réseaux, se plonger dans les détails et comprendre à quel point ces systèmes sont résilients », remarque Denis Efimov. Du côté français, l'équipe-projet Valse a été chargée de la partie théorique, notamment en termes d'analyse dynamique, d'estimation des changements de fréquence… Les chercheurs allemands de la BTU, eux, disposaient d'une plateforme adaptée pour réaliser des tests grandeur nature. « Nous étions à l'intersection de nos spécialités, précise Denis Efimov. Les réunions ont été très nombreuses et fructueuses car nous avions beaucoup à échanger et énormément de difficultés à dépasser, ce que nous avons réussi à faire ensemble. »

Les scientifiques de la BTU ont utilisé une plateforme d'une puissance totale de 110kW. La moitié relevait d’un générateur classique, et le reste était assuré par quatre unités de production d'énergie décentralisées (équivalentes à des panneaux solaires ou des éoliennes). Tout cela sur une quinzaine de kilomètres de long, ce qui pouvait s’apparenter à un petit village d’une cinquantaine d'habitants. En réalité, les micro-réseaux sont généralement un peu plus vastes, néanmoins cette simulation correspondait à un ordre de grandeur assez réaliste.

© Brandenburg University of Technology Cottbus-Senftenberg
La plate-forme de la BTU a permis de tester les modèles mathématiques dans des conditions réalistes.

Des réseaux plus résistants que prévu

Ensuite, les équipes ont étudié en détail comment le courant électrique se comportait dans ce système afin d'en tirer des enseignements et de construire un algorithme capable de mesurer l'ensemble du phénomène. « Nous avons eu des surprises, reconnaît Denis Efimov. Les trajectoires du courant n'étaient pas celles que nous pensions observer et elles étaient très différentes de ce qui se passe dans un grand réseau conventionnel. »

Les chercheurs ont identifié des variations de fréquence qui, en pratique, conduiraient à un arrêt de toute l'installation… Or la simulation, elle, a montré que celles-ci peuvent être tolérées par le système. « Ces réseaux sont plus résistants que prévu. Parfois, il suffit d'attendre lors d'une variation et tout revient à la normale après une courte phase de transition. Il n'est pas forcément nécessaire de tout faire disjoncter à chaque fois. »

À l’horizon, une application sur de vrais micro-réseaux

L'enjeu, désormais, est d'analyser finement les résultats de SyNPiD afin d’identifier avec certitude quand et comment ce type de micro-réseaux nécessite une coupure. « C'est très délicat car il existe une multitude de comportements différents, ajoute Denis Efimov. Notre cadre d'analyse est encore en construction et va se nourrir de toutes ces informations. »

Désormais terminé, le projet SyNPiD fait l'objet de deux postdocs. D'autres expérimentations, sur de nouvelles plateformes, auront lieu prochainement avec la BTU dans le cadre du nouveau projet ANR SyNNuM.

À terme, pourra-t-on un jour employer le cadre méthodologique de SyNPiD dans un « vrai » micro-réseau ? Denis Efimov répond par l’affirmative : « Nous nous appuyons sur des réseaux électriques construits depuis des décennies et qui fonctionnent. Notre idée est de régler les problèmes sans tout défaire. Avec SyNPiD, nous proposons ainsi d’effectuer des réglages sur les réseaux déjà construits, cela peut donc marcher. »

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