Modélisation et Simulation

Mieux gérer les épidémies grâce à la simulation

Date:

Mis à jour le 28/04/2025

Serait-il possible de prédire de façon fine et précise la propagation d’une épidémie, ainsi que l’impact de diverses mesures sanitaires sur celle-ci ? Un tel simulateur, potentiel outil d’aide à la décision pour les responsables politiques, vient de voir le jour grâce au projet ICI, mené collaborativement par des chercheurs d’Inria, de l’IGN et de l’Inserm.
Homme avec masque dans une gare
© Zigres / Adobe Stock

Une modélisation géographique pointue pour prédire l’évolution d’une épidémie

« Il existe des modèles macroscopiques pour la prédiction de l’évolution des épidémies, note Maxime Colomb, docteur en géomatique et ingénieur de recherche au sein de l’équipe-projet ASCII (commune à Inria, au CNRS et à l’Institut polytechnique de Paris), du centre Inria de Saclay. Mais il leur est impossible de prédire par exemple comment l’épidémie va réagir si un confinement est mis en place, car ils mènent des simulations à trop grande échelle. » 

En 2020, alors que la pandémie de Covid a justement conduit à un premier confinement, Denis Talay, responsable de l’équipe ASCII, relève un défi : créer un simulateur capable de réaliser de telles prédictions, grâce à une modélisation géographique pointue. Il se rapproche naturellement de l’IGN (Institut national de l'information géographique et forestière), où Maxime Colomb effectue alors sa thèse, et met sur pied le projet ICI (pour « Inria - Collaboration – IGN »). 

Reproduire les mécanismes de la vie réelle

Image

Portrait Maxime Colomb

Verbatim

L’idée était de modéliser un système qui reproduise le plus fidèlement possible les mécanismes de la vie réelle afin de pouvoir y appliquer les modifications souhaitées, comme un couvre-feu, du télétravail, etc. – et d’en observer les effets.

Auteur

Maxime Colomb

Poste

Ingénieur de recherche au sein de l'équipe-projet ASCII

« Pour cela, nous avons découpé le projet en deux parties : d’une part, la génération des données géographiques et d’autre part, la simulation épidémiologique. » retrace Maxime Colomb.

Le jeune chercheur est chargé de la première et s’attelle d’abord à la modélisation des bâtiments et de leur intérieur. Pour cela, il développe une méthode innovante de fusion de données hétérogènes. Un moyen d’exploiter de nombreuses sources, telles que OpenStreetMap ou encore l’Agence parisienne d’urbanisme, pour créer des modèles de bâtiment et de leur occupation (quelles activités s’y déroulent, selon quels créneaux horaires, combien de personnes y travaillent, quel est le type de public accueilli…).

Croiser de multiples sources pour créer une population de simulation

Ensuite, le chercheur élabore un générateur de population synthétique selon le même principe : croiser de multiples sources pour créer une population de simulation qui représente le mieux possible la population réelle d’un lieu donné, en se basant notamment sur les catégories statistiques de l’Insee pour définir les différents types de ménages (célibataire, en couple, en colocation, en famille…) et leur attribuer des caractéristiques socio-démographiques. « On sait par exemple que dans 83% des cas, l’adulte d’une famille monoparentale est une femme », illustre Maxime Colomb. 

Reste alors à « faire vivre » tout ce petit monde et cet environnement. L’ingénieur affecte à chaque individu, là encore en fonction de ses propriétés socio-démographiques, un modèle markovien d’emploi du temps géolocalisé : où travaille-t-il, selon quels horaires, quand et où va-t-il faire ses courses, son sport… 

Exemples simulations projet ICI
© Projet ICI
Exemples de simulations

Au final, il obtient un véritable jumeau numérique de la ville, de ses occupants, de leurs activités et de leurs déplacements. Des résultats qui permettent au projet ICI de participer par ailleurs à la fois au PEPR Mobidec  et au volet « Propagation d’épidémies » de l’appel à communs « Jumeau numérique de la France et de ses territoires » lancé en 2024 par l’IGN, le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) et Inria. 

Un simulateur précis et rapide

« C’est un modèle de simulation individu-centré beaucoup plus précis que ceux qui existaient jusqu’ici, se félicite Maxime Colomb. De plus, comme nous l’avons implémenté dans un langage très optimisé, il est très rapide. »

Si nous choisissons le 11e arrondissement de Paris, nous pouvons simuler, en une centaine de secondes seulement, la diffusion d’un pathogène au sein des 145 000 individus qui y vivent et des 1,3 million de personnes qui y transitent pendant 100 jours !

Une vitesse loin d’être anecdotique, car elle permet de recourir à une méthode algorithmique particulière, les « réplications de Monte Carlo ». 

Celles-ci visent à compenser l’aspect probabiliste des simulations à travers la réalisation d’un très grand nombre d’entre elles pour chaque jeu de paramètres. L’objectif est d’en tirer un résultat statistiquement robuste. 

Visualiser l’évolution d’une épidémie sous tous les angles

La deuxième partie du projet consiste à s’appuyer sur ce jumeau numérique pour la simulation épidémiologique. Concrètement, les données géographiques modélisées servent à simuler la diffusion d’un agent pathogène au sein de la population, en fonction de différents critères comme le temps d’incubation, la distance et la durée de contamination, ou encore les politiques sanitaires. Les épidémiologistes hospitaliers du CRESS (Centre de recherche en épidémiologie et statistiques, rattaché notamment à l’Inserm) apportent alors toute leur expertise au projet. 

« Les utilisateurs du simulateur peuvent explorer les résultats par sous-populations, par exemple selon les classes d’âges ou les catégories socio-économiques, ou encore selon des indicateurs particuliers, comme le nombre d’entrées hospitalières journalières, le nombre de décès… », détaille Maxime Colomb. 

Pour s’assurer de l’efficacité de leur simulateur, les chercheurs confrontent actuellement les résultats fournis par ICI aux données réelles de Santé publique France concernant l’épidémie de Covid. D’autres étapes viendront ensuite, comme l’extension du simulateur à l’ensemble du territoire métropolitain et aux DROM-COM. 

Autres développements prévus : étendre la simulation de la propagation de maladies à l’extérieur (contre l’intérieur uniquement actuellement) et transmises par des vecteurs, par exemple les moustiques, et non pas seulement de personne à personne. Et améliorer encore la précision des simulations, notamment en intégrant la tenue de grands événements tels des concerts, au cours desquels les probabilités de contamination d’un individu changent. 

Des applications en santé, mais pas seulement

Une fois ces adaptations réalisées, les applications possibles sembleront presque illimitées. Par exemple, le simulateur pourra servir à évaluer rétrospectivement si les mesures instaurées lors de l’épidémie de Covid ont été les plus pertinentes et efficaces, prises au bon moment ou non, etc. Bien sûr, il constituera également un outil d’aide à la décision précieux pour les responsables politiques

Tous les ans, le virus respiratoire syncytial se répand par vague et sature les urgences pédiatriques. Le simulateur pourrait permettre de tester des mesures sanitaires afin de déterminer lesquelles réduiraient la pression sur les services hospitaliers.

Les chercheurs collaborent d’ailleurs actuellement avec l’ARS (Agence régionale de santé) d’Île-de-France pour mieux définir ses besoins en termes de simulation et y adapter les recherches. 

Aujourd’hui, une interface en ligne permet d’ores et déjà aux acteurs de la santé d’afficher des résultats de simulation pré-calculés sur la plateforme Genci (Grand équipement national de calcul intensif, dédié à la recherche académique et industrielle) pour certains paramètres. Mais dans quelques mois, le code lui-même du simulateur sera publié en open source. Ce qui offrira à tout un chacun la possibilité de s’en emparer et de l’adapter en y intégrant de nouvelles données… et ouvrira la porte à des applications au-delà de la santé. « Les simulations étant très précises, elles pourraient aussi servir par exemple à la conception de plans de transport, ou encore à la gestion de la pollution de l’air en fonction des déplacements des individus », conclut Maxime Colomb.