Géosciences

Écouter le Soleil pour explorer sa structure

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Mis à jour le 10/06/2024
L’éclipse totale annoncée dans le Pacifique le 8 avril 2024 nous rappelle que nous en savons bien peu sur le Soleil, cette étoile qui fournit à la Terre plus de 99 % de son énergie thermique. Des chercheurs Inria tentent aujourd’hui de comprendre sa structure interne. Leur méthode : exploiter la propagation des ondes acoustiques qu’il génère… Avec pour défi à long terme, des simulations 3D du Soleil pour l’imagerie passive.
Simulation Makutu
© Inria / Photo B. Fourrier

L’héliosismologie, une science née en 1960

Installez-vous dans votre cuisine, fermez les yeux et demandez à un proche de frapper à petits coups sur divers objets. Vous reconnaîtrez aisément le cristal d’une coupe de champagne, le plastique d’une chaise ou le métal d’une casserole. Car les sons qu’ils produisent sont différents : en se propageant dans les objets, ils interagissent de manière spécifique avec leur matériau.

L’équipe-projet Makutu au Centre Inria de l'université de Bordeaux exploite le même principe pour étudier un tout autre sujet : le Soleil, sa structure et sa dynamique interne. À sa surface, en effet, un plasma d’hydrogène et d’hélium à 5 800°C est parcouru en permanence de violents mouvements verticaux, un peu comme l’eau en ébullition. Ce phénomène dit de « convection turbulente » génère des ondes acoustiques dont on peut extraire des informations : c’est le fondement de l’héliosismologie, une science née en 1960 avec les premiers travaux du chercheur américain Robert Leighton.

« Le Soleil chante, et même si nous ne pouvons pas l’entendre depuis la Terre, nous pouvons observer la propagation de ces ondes à partir d’un satellite », glisse avec une touche de poésie Hélène Barucq, responsable de l’équipe-projet Makutu.

De la Terre au Soleil

Makutu ne part pas de rien : depuis des années, suivant le même principe, elle développe des outils mathématiques et numériques pour aider des géophysiciens à imager les profondeurs de notre planète. Mais s’attaquer au Soleil constitue un autre défi. 

C’est une étoile 340 fois plus grande que la Terre, fluide et non solide : son noyau, où la température atteint 150 millions de degrés, tourne sur lui-même presque quatre fois plus vite que ses couches intermédiaires et extérieures. Autre particularité, le Soleil n’a pas à proprement parler de « surface » : celle-ci est constituée du plasma turbulent évoqué plus haut. Et bien entendu, impossible d’aller y placer le moindre capteur.

Une collaboration fructueuse entre mathématiciens et astrophysiciens

Cet empilement de difficultés ne fait pas l’affaire des astrophysiciens, qui voudraient comprendre ce qui se cache derrière l’éblouissante lumière de l’astre solaire. Comment est-il structuré ? Quelles lois physiques régissent sa dynamique interne ? « La tâche est immense, et pour le moment seuls des modèles numériques simplifiés sont utilisés » précise Florian Faucher, chercheur au sein de l’équipe-projet Makutu. Exemple : le Soleil y est souvent représenté comme un fluide dont les propriétés physiques en chaque point varient uniquement selon sa distance par rapport au centre de l’étoile.

Pour faire avancer ces connaissances et affiner ces modèles, Makutu collabore depuis 2013 avec une équipe d’astrophysiciens de l’Institut Max Planck de recherche sur le système solaire (MPS). « Ils apportent leur expertise en physique et en sismologie. Nous fournissons les outils de simulation de la propagation des ondes, et de résolution de problèmes inverses non linéaires » résume Ha Pham, chercheuse chez Makutu en charge de l’équipe associée avec le MPS.

 

Simulation Makutu
© Inria / Photo B. Fourrier

« En héliosismologie, on doute en permanence »

Le travail collectif s’organise autour de visioconférences mensuelles et d’échanges quotidiens. Les deux équipes sont très réactives. Elles sont issues de communautés scientifiques distinctes et chacune apporte ses compétences. « L’héliosismologie est passionnante : on sait encore très peu de choses et on doute en permanence, souligne Hélène Barucq. Heureusement, nos collègues astrophysiciens donnent du sens à ce que nous observons. »

On l’a compris : la démarche suivie par Inria consiste à retourner, depuis les ondes acoustiques, vers les profondeurs du Soleil où elles se sont propagées. L’exercice est très délicat, car les chercheurs sont confrontés non pas à des ondes, mais à des phénomènes de superpositions d’ondes, produites en continu et de manière aléatoire par la convection turbulente.  

Vers des simulations 3D du Soleil

Ils relèvent le défi grâce à la « corrélation d’ondes » : ils enregistrent et corrèlent les signaux mesurés en deux points du Soleil, et parviennent ainsi à calculer une onde source, pour en extraire des données sur son trajet, les altérations qu’elle a subies et le type de milieu qu’elle a traversé.

« En examinant un ensemble de duos de points, on dispose d’une quantité de données dont on veut extraire des informations sur la structure interne 3D du Soleil, complète Florian Faucher. C’est une perspective à très long terme, qui bute encore sur les limites des supercalculateurs : il faudrait résoudre des équations à plusieurs centaines de millions d’inconnues ».

Au préalable, d’autres questions se posent aux chercheurs. Car il existe une grande quantité de duos de points possibles, selon leur emplacement sur le Soleil et leur éloignement, et chaque duo fournit des informations différentes et complémentaires. Alors, sur quels critères choisir ces points ? Combien en faut-il pour récolter des données pertinentes sans être noyé par le volume de calcul ? Quelles méthodes mathématiques et numériques pour simplifier ces calculs ? 

Des ondes invisibles révélées par la gravité

Makutu a enregistré ces dernières années des résultats importants. Le premier concerne la modélisation efficace de noyau de Green, ingrédient essentiel pour l’imagerie en héliosismologie. Deuxième avancée : l’équipe a construit un modèle mathématique qui permet de modéliser les ondes qui se propagent dans l’atmosphère solaire, et dont la solution peut être produite avec un supercalculateur.

Les chercheurs Inria ont aussi développé un outil numérique pour modéliser les ondes solaires tout en intégrant les effets de la gravité. Celui-ci a mis en évidence des modes d’ondes jusque-là invisibles dans les simulations. « L’enjeu est maintenant d’enrichir ce modèle pour se rapprocher de la réalité, en prenant toujours mieux en compte les phénomènes physiques dans nos simulations numériques » commente Florian Faucher.

En parallèle, l’équipe conçoit des algorithmes et des méthodes numériques qui accélèrent et simplifient les calculs. « C’est un verrou majeur, insiste Hélène Barucq, et nous devons encore monter en échelle. Dans le futur, il faudra combiner nos méthodes avec l’intelligence artificielle. » Enfin, Makutu débute en 2024 deux projets de recherche reliés à l’héliosismologie : le projet franco-allemand ANR/DFG Butterfly, porté par Makutu et le MPS, et l’ERC starting grant Incorwave porté par Florian Faucher. Le Soleil est loin d’avoir révélé tous ses mystères ; mais sur Terre, on s’active pour les percer. 

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