Modélisation et Simulation

À la découverte du côté obscur de l’Univers

Date:
Mis à jour le 14/06/2024
Bruno Lévy, directeur de recherche Inria, participe activement à un projet international de recherche en cosmologie, aux côtés de chercheurs de l'Institut d'astrophysique de Paris et d’universités étrangères. L'objectif ? Développer des algorithmes permettant de retracer l'histoire de l'Univers, ainsi que des modèles qui pourront tenir compte de plusieurs inconnues, comme la matière noire et l'énergie sombre.
Représentation de l'Univers
© Bruno Lévy

Unis pour améliorer la compréhension de l'Univers

Nous sommes nombreux à être fascinés par la face cachée de la Lune. Mais l’Univers recèle aussi une face sombre, que de nombreux scientifiques cherchent à percer. C'est l'objectif d'un ambitieux programme de recherche international et pluridisciplinaire, qui s'appuie sur des expertises en informatique, en mathématiques et en cosmologie. Le projet est mené, depuis 2015, par Bruno Lévy, directeur de recherche Inria, Roya Mohayaee, chargée de recherche CNRS à l'Institut d'astrophysique de Paris (Sorbonne Université - CNRS), et Sebastian von Hausegger, chercheur à l'université d'Oxford. Ils viennent d'être rejoints par Ravi Sheth et Farnik Nikakhtar, deux experts américains en astronomie et en physique, respectivement enseignant-chercheur à l'université de Pennsylvanie et postdoctorant à l'université de Yale.

« Les mathématiques sont notre langage commun, explique Bruno Lévy. Un langage puissant pour décrire ce qui se passe dans l'Univers, notamment les principes physiques découverts grâce à la cosmologie » (la branche de la physique qui s'intéresse à l'Univers et à son histoire). La recherche en informatique vise, quant à elle, à faciliter la traduction pour l'ordinateur des équations et formules physiques qui doivent être calculées. « C'est la baguette magique qui donne vie aux formules mathématiques et permet de simuler numériquement les lois de la physique », précise le directeur de recherche.

Reconstituer la trajectoire des galaxies

Les recherches ainsi effectuées ont mené à une première découverte majeure mi-2022, rapportée alors dans un article de la revue Physical Review Letters, avant d'avoir le privilège d'être mise en lumière par le magazine Physics.

Cette innovation, comparée à une machine à remonter le temps, repose sur une méthode mathématique qui utilise la théorie du transport optimal pour reconstituer la trajectoire des étoiles et des galaxies, à partir d'une carte en 3D du Cosmos. « Notre but était de voir à quoi ressemblait l'Univers il y a des milliards d'années et nous y sommes parvenus, sur des cas simplifiés et avec des ensembles de données limités, détaille Bruno Lévy. 

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© University of Pennsylvania, Inria et Institut d'Astrophysique de Paris (Sorbonne Université et CNRS)
À gauche: répartition actuelle de la matière dans une zone de l'Univers. À droite: reconstruction des zones de l'Univers primordial d'où cette matière est provenue

Tester différentes théories de la matière noire et de l’énergie sombre

L'équipe s'est ensuite attelée à renforcer sa méthode, notamment en montant en puissance sur les calculs et en testant sa résistance face à des paramètres incomplets ou non mesurables. « Il faut être capable de prendre en compte le fait qu'une certaine proportion des galaxies ne sont pas observées », précise Bruno Lévy.

La question de la matière noire est plus compliquée encore. Ce nom de "matière noire" désigne un ensemble d’effets, constatés depuis le début du XXe siècle. Mais nul n'est jusqu'ici parvenu à détecter directement cette matière, à en connaître la composition, ou encore à la caractériser comme une modification des lois de la gravité. Idem pour l'énergie sombre, dont on ne connaît ni la source ni la nature, mais dont l'existence a été repérée à la fin des années quatre-vingt-dix par les chercheurs américano-australiens Perlmutter et Riess : elle est à l'origine d'une accélération de l'expansion de l'Univers au cours des derniers milliards d'années.

Dans un nouvel article publié fin 2022 par Physical Review Letters, les chercheurs de l'équipe internationale ont démontré la pertinence de l'outil mathématique qu'ils ont conçu pour des données réelles, comportant leur part d’incertitude et de données manquantes. Ils ont pu montrer la capacité de leur méthode à reconstruire une information pertinente à partir de données incomplètes. À terme, leur outil permettra de tester différentes théories de la matière noire et de l’énergie sombre qui prennent la forme d’ensembles d’équations mathématiques. Cette méthode visera à confronter ces équations à la réalité, en mesurant à quel point elles restent cohérentes lorsqu’on y injecte les données d’observation. 

Répartition de la matière dans l'Univers
© Bruno Lévy
Moitié haute : répartition actuelle de la matière dans une zone de l'Univers. Chaque point représente un amas de galaxie. Moitié basse : reconstruction du champ de densité de l'Univers primordial (mis à l'échelle), bien plus chaud et bien plus dense. Les "grumeaux" que l'on voit ont joué le rôle de "germes" pour que la gravité puisse former les grandes structures.

Course aux "super-algorithmes"

Il reste maintenant à adapter cette méthode mathématique à une quantité toujours plus vertigineuse de données observationnelles, remontées par de puissants télescopes. « Nous avons réussi à effectuer des calculs sur 300 millions de points et espérons dépasser prochainement le milliard de points », indique Bruno Lévy. « À terme, nous aimerions appliquer notre algorithme sur de vraies données observationnelles, issues en particulier des relevés effectués dans le cadre du projet DESI » (Dark Energy Spectroscopic Instrument), ajoute Farnik Nikakhtar, postdoctorant à l'université de Yale. Ce projet international devrait déboucher sur l'observation de « 40 millions de galaxies et de quasars » d'ici à la fin de la décennie, souligne ce spécialiste, non sans enthousiasme.

À l'avenir, le traitement de tels gisements de données nécessitera d'utiliser un calculateur plus grand, ou de mettre en réseau un nombre très élevé d'ordinateurs dédiés aux calculs. « Pour mener ces très grosses simulations, nous aurons le choix entre utiliser la force brutale, à savoir faire tourner l’algorithme sur un supercalculateur (comme Jean Zay), ou être plus malin, en remplaçant le supercalculateur par un "super-algorithme" », analyse Bruno Lévy. L’idée consiste à repenser la méthode sous un angle nouveau, permettant en quelque sorte de trouver un "raccourci mathématique" et ainsi de parvenir plus vite au résultat. À terme, ceci devrait aider les chercheurs en cosmologie à effectuer beaucoup plus facilement des calculs, depuis leurs propres ordinateurs personnels. Sans avoir à utiliser systématiquement de rares et coûteux supercalculateurs.

Verbatim

À mon sens, la partie la plus intéressante de nos résultats tient à la façon dont nous arrivons désormais à déterminer précisément la forme des zones de l’espace d’où se sont constitués, à l'origine, les halos de matière noire et les amas de galaxies. Cette possibilité est enthousiasmante dans la mesure où elle peut hypothétiquement améliorer notre compréhension des liens entre la matière noire et la matière visible, lesquels sont depuis longtemps une énigme en astrophysique. 

Auteur

Farnik Nikakhtar

Poste

Postdoctorant à l'université de Yale, après un doctorat en physique et en astronomie, obtenu à l’université de Pennsylvanie en 2022