Modélisation et Simulation

Les sciences du numérique à la conquête du ciel et de l’espace

Date:
Mis à jour le 09/07/2024
À l’approche du premier lancement d’Ariane 6, le mardi 9 juillet à Kourou, et alors que le nombre de voyageurs aériens atteint des records en 2024, les sciences et technologies du numérique revêtent désormais une importance cruciale dans les domaines de l’aérospatial et l’aéronautique.
Avion Lune
© Pixabay/ Photo V. Stefanov

 

Ces deux secteurs, très présents en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie, couvrent également des enjeux sociétaux et économiques significatifs. C’est tout un écosystème, opéré par Aerospace Valley, premier pôle de compétitivité européen, qui participe à l’étude, la conception, la fabrication et la commercialisation de ces technologies. Dans ce contexte, les équipes du Centre Inria de l’université de Bordeaux offrent à leurs partenaires industriels et académiques, les outils et les connaissances nécessaires pour renforcer la sécurité, la compétitivité et la décarbonation des systèmes, en s’appuyant sur leurs expertises telles que la modélisation, la simulation et la cryptographie.

La conception des systèmes aéronautiques : un challenge scientifique pour chaque composante

Il est primordial de développer des produits (aéronefs, avions, drones, lanceurs de satellites) les plus performants possible d’un point de vue du service rendu que de l’optimisation de la ressource exploitée.

Grâce à la modélisation et à la simulation, Inria contribue à la création de modèles précis et réalistes qui permettent de mieux comprendre et d’améliorer les systèmes aéronautiques, spatiaux et de défense. Ces modèles aident à évaluer les performances, à anticiper les problèmes potentiels pour optimiser la conception des objets aéronautiques à moindre coût. Il peut s’agir de créer des représentations mathématiques de phénomènes physiques se produisant en vol. Par exemple, l’équipe-projet Cardamom se spécialise dans le développement de schémas numériques robustes pour simuler l’écoulement de l’air autour des ailes. Cela nécessite des modèles mathématiques précis pour représenter ces interactions complexes et mieux comprendre les phénomènes aérodynamiques tels que la turbulence[1] ou encore l'icing [2] (formation de la glace sur les ailes).

 

Simulation avion
© Inria / Photo M. Magnin

 

De même, l’équipe-projet Cagire se concentre sur l’étude de l’écoulement de l’air pour garantir, par exemple, un refroidissement par impact de jet des turbines. « Nous développons des modèles mathématiques pour mieux comprendre et évaluer les échanges thermiques à l’intérieur même d’une turbine. Grâce à la précision de nos modèles, les industriels peuvent réaliser des simulations des interactions entre le fluide et les pièces mécaniques, ce qui participe à l’amélioration de la fiabilité des moteurs tout en accélérant le processus de conception et ce, à moindre coût », explique Rémi Manceau, responsable de l’équipe. 

Améliorer les systèmes aéronautiques et aérospatiaux pour réduire leur impact

Alors que la conquête spatiale est devenue un enjeu de souveraineté mondial avec notamment l’arrivée concurrentielle de SpaceX et de ses fusées réutilisables sur le marché, les pays européens se penchent désormais sur la réduction des coûts notamment avec la fabrication de mini et microlanceurs réexploitables, un défi auquel participent les sciences du numérique. Lors d’un lancement de fusée, la rentrée atmosphérique est une phase critique pour les véhicules spatiaux, au même titre que l’étape de la séparation et du largage des propulseurs (boosters) du corps de la fusée. L’un des défis relevés par les équipes-projets Storm et Topal est d’améliorer l’efficacité des simulations numériques pour modéliser ces phénomènes complexes – comme les ondes de souffle – lors de la phase décollage. En utilisant le code FLUSEPA développé par ArianeGroup, les scientifiques utilisent des techniques de parallélisation et d’optimisation de calculs permettant des simulations plus efficaces.  «  Ces phénomènes ont des temps physiques très différents et les méthodes numériques doivent introduire des pas de temps variables en fonction de la localisation géométrique des cellules du maillage de l’objet. Cela complexifie la répartition équilibrée des calculs sur les supercalculateurs : de nouvelles stratégies de partitionnement des maillages ont donc été mises au point, permettant de générer un graphe de tâches équilibré pour le support d’exécution StarPU  », précise Alice Lasserre [3], doctorante au sein de l'équipe-projet Storm. 

 

Lancement Fusée
© ArianeGroup

 

De son côté, l’équipe-projet Concace se concentre sur les problèmes d’aéroacoustique comme le bruit généré par le flux d’air du réacteur, se propageant autour de l’avion et se répercutant sur le fuselage mais également au niveau du sol, pour le plus grand déplaisir des riverains d’aéroport. En partenariat étroit avec Airbus et le Cerfacs, les scientifiques effectuent des simulations numériques complexes où le calcul haute performance (HPC) permet de tester en peu de temps de nombreuses configurations et de modéliser ainsi des scénarios réalistes et précis pour optimiser le design des avions et réduire leur impact sonore. « Afin de concevoir et optimiser de nouveaux matériaux absorbants pour l'acoustique ou de nouvelles configurations aérodynamiques, il faut pouvoir simuler la propagation d'une acoustique ondulatoire dans un écoulement complexe. Les méthodes de calcul intensif développées par l’équipe permettent de résoudre des équations aux dérivées partielles à grande échelle en tenant compte des interactions entre les turbulences et les structures solides », explique Guillaume Sylvand, membre de l'équipe Concace et ingénieur chez Airbus.

Verbatim

La résolution de ces problèmes nécessite une puissance de calcul considérable, réalisable grâce au HPC et au développement d’algorithmes parallèles et de méthodes numériques avancées. Chez Concace, nous nous intéressons à la mise au point de méthodes composables de telle sorte qu'il soit ensuite possible et aisé de générer la configuration algorithmique en fonction des contraintes de taille du problème, du type et de la taille du calculateur, de la précision attendue de la solution ou d'autres spécificités.

Auteur

Emmanuel Agullo

Poste

Chercheur au sein de l'équipe-projet Concace

Des défis pour le futur d’un aéronautique plus vert et sécurisé

En réponse à l'urgence climatique, le secteur de l’aéronautique se doit de travailler à la décarbonation des systèmes et ce, sans altérer performance et sécurité. Pour ce faire, il est nécessaire de développer de nouvelles innovations dans les méthodes de conception des avions à zéro émission de gaz à effet de serre. Comme par exemple, des avions à hydrogène liquide. La mise en place de modèles ou de jumeaux numériques de systèmes complexes en est une composante essentielle. C’est l’un des objectifs de la chaire PROVE « Modèles physiques hybrides pour la propulsion aéronautique verte » soutenue par la région Nouvelle-Aquitaine et portée par Denis Sipp directeur de recherche à l’Onera et Angelo Iollo, responsable de l'équipe-projet Memphis, avec la participation de son équipe et de l’équipe Cardamom. Elle vise à développer des méthodologies mathématiques de rupture combinant des modèles physiques et des données pour obtenir des modèles rapides, précis et évolutifs autour de trois thématiques que sont la maitrise de l’incertitude, la réduction de modèles et l'assimilation de données. Comme le précise Angelo Iollo « La mise en place de jumeaux numériques permettra d’accompagner le développement des systèmes aéronautiques de l’avant-projet jusqu’à l’exploitation et au retrait de la machine avant défaillance.  Il s’agira à terme de diminuer également les coûts de certification par un moindre recours à l'expérimentation grâce aux simulations numériques, d'offrir une aide au suivi et à la maintenance des systèmes qui engendrera également une diminution des coûts de maintenance et des marges de conception ».

 

CARDAMOM
© Inria / Photo M. Magnin

 

Un autre point sera crucial à l’avenir pour les secteurs de l’aéronautique et l’aérospatial : la sécurisation des communications par cryptage en anticipation du développement des futurs ordinateurs quantiques. « Notamment pour l’observation de zones de conflits par exemple, il est nécessaire que la commande à distance d’aéronefs, tout comme la protection des données sensibles recueillies, soient sécurisées contre les cyberattaques et les interceptions. Chez Canari notamment, nous investissons ce sujet en développant des techniques de cryptographie postquantique avancées qui fourniront les bases de systèmes cryptographiques de nouvelle génération » souligne Damien Robert, responsable de l’équipe-projet Canari.

Autant d’innovations en cours ou futures rendues possibles grâce au numérique et qui connaitront d’autres applications comme des avions sans pilote… mais ce sera une autre histoire !