Cryptographie

Quriosity : des données dopées au quantique

Date:
Mis à jour le 04/12/2024
La nouvelle équipe-projet Inria Quriosity s’est fixé un objectif ambitieux et prometteur : explorer et exploiter les propriétés des systèmes quantiques complexes en conjuguant théorie quantique de l’information et technologies du numérique, afin d’améliorer notre capacité à traiter et protéger nos données.
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© Adobe Stock / Mizuuuuuuuu

Un dialogue entre chercheurs et industriels

Garder un esprit ouvert, curieux de tout potentiel d’innovation, c’est bien la signature scientifique de Quriosity, l’équipe-projet Inria commune avec Télécom Paris - Institut Polytechnique de Paris. « L’idée n’est pas de partir d’une réalité hypothétique à venir, dans laquelle on disposera de ressources absolues dans quelques années, explique Romain Alléaume, professeur à Télécom Paris et responsable de cette équipe créée en janvier 2023 et basée au Centre Inria de Saclay. Mais d’établir et de soutenir un dialogue entre chercheurs et industriels pour faire émerger des applications qui puissent être mises en œuvre dès aujourd’hui avec les technologies quantiques actuelles. »

En cryptographie notamment. D’un côté, les outils de cryptographie "classique" utilisés aujourd’hui notamment pour sécuriser nos échanges de données sur Internet : ils reposent sur la difficulté de résolution de certains problèmes mathématiques – ou hypothèses calculatoires – et restent vulnérables face à l’avancée des puissances de calcul et d’éventuelles percées en algorithmique. De l’autre, la cryptographie quantique, qui s’appuie sur la transmission de qubits générés aléatoirement : elle permet de garantir une sécurité très forte, fondée sur les principes quantiques et sans hypothèse calculatoire, mais dont le champ d’action est plus limité.

Un réseau dense de collaborations

L’équipe-projet Quriosity peut compter sur un réseau dense de collaborations, constitué de partenaires académiques solides comme Sorbonne Université, l’ENS Ulm, le Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N) de Saclay ou d’autres équipes au sein de Télécom Paris. Et, dans le cadre de l’initiative EuroQCI, d’industriels engagés dans le déploiement des technologies quantiques tel que Thalès ou Orange, avec lequel l’équipe partage deux thèses Cifre, mais aussi des startups spécialisées telles que Quandela et VeriQloud. Quriosity est aussi fortement engagée dans la formation d’ingénieurs quantiques à travers le programme de M2 QEng de Télécom Paris, combinant informatique, ingénierie et physique quantique.

Hybrider cryptographies classique et quantique

La solution ? Réfléchir à des solutions hybrides. C’est précisément l’un des axes de recherche de Quriosity. « L’avantage clé qu’apporte le quantique en cryptographie est lié au fait que l’information quantique n’est pas clonable : si quelqu’un cherche à extraire des informations, alors on observera automatiquement des erreurs, ce qui permettra aussi de bloquer l’accès à l’information », souligne Romain

Verbatim

En combinant les approches quantique et classique, on peut construire des protocoles cryptographiques hybrides qui héritent de la sécurité quantique, tout en étant plus faciles à mettre en œuvre et plus robustes au "bruit".

Auteur

Romain Alléaume

Poste

Responsable de l'équipe-projet Quriosity

Au-delà, Quriosity cherche à renforcer la sécurité du matériel cryptographique lui-même, en construisant des systèmes numériques dont la couche physique intègrerait une partie quantique.

Autre piste explorée par l’équipe : le développement de protocoles cryptographiques dont la sécurité pourrait être garantie, même si les appareils utilisés ne sont pas de confiance. « En utilisant ce que l’on appelle l’intrication quantique, nous pouvons certifier que nos outils produisent une clé secrète même dans le cas le plus redouté où l’un des appareils est entre les mains d’un attaquant, explique Peter Brown, maitre de conférences à Télécom Paris et membre de l’équipe. Ces protocoles de cryptographie "device-independent"   applicables sur tout appareil offrent des garanties de sécurité très fortes, par exemple pour la génération cryptographique de nombres aléatoires,  mais sont actuellement difficiles à mettre en pratique. »  C’est l’un des défis que s’est fixés Quriosity.

Des systèmes photoniques de grande dimension

Autre grand axe de recherche : exploiter la très large palette de complexité des états quantiques d’un photon – son temps d’arrivée ou sa fréquence par exemple – dans le traitement de l’information quantique. « On sait fabriquer des états quantiques de la lumière en superposition sur des milliers, voire des millions de modes. Le grand défi va être de contrôler le "bruit" », explique Romain Alléaume.

Autrement dit, de réduire au maximum les interactions indésirables avec l’environnement extérieur qui affectent les qubits pendant l’exécution d’un algorithme, liés par exemple à l’agitation thermique. « Pour cela, nous cherchons à combiner ces systèmes avec les techniques issues du numérique – traitement du signal ou machine learning – capables d’estimer et de réduire les erreurs. » Les systèmes photoniques de grande dimension constituent une approche très prometteuse pour la réalisation d’architectures de calcul quantique résilientes aux erreurs générées par le "bruit".

Enfin, l’équipe ambitionne de mener une recherche théorique très en amont sur les fondements mathématiques de l’information et du calcul quantique. L’objectif à long terme : mieux appréhender la complexité des systèmes quantiques intriqués – constitués de plusieurs centaines de particules – afin d’identifier les meilleures propriétés algorithmiques et de tolérance aux erreurs au moment de l’exécution d’un calcul. Ces problématiques seront au cœur des technologies quantiques de demain.

En attendant, Cambyse Rouzé, qui a rejoint l’équipe Quriosity sur un poste permanent Inria de "Starting faculty position" concentre ses recherches dans ce domaine « sur la caractérisation du bruit dans les modèles hybrides de calcul quantique ». Il précise : « Par exemple, un problème particulièrement difficile, à l’intersection entre l’informatique théorique et la physique, est celui de la prédiction des propriétés à basse température de molécules et de solides complexes. L’équipe développe de nouveaux algorithmes optimisés inspirés de la physique statistique afin d’en approximer ces propriétés. Pour ne citer qu’une application parmi d’autres, nous espérons trouver de nouvelles mémoires sauvegardant l’information quantique durant de plus longues périodes ».

Une ambition quantique nationale

Plus globalement, la création de l’équipe Quriosity s’inscrit dans l’accélération de l’effort de recherche et de développement industriel dans le domaine des technologies quantiques concrétisé par le Plan Quantique National lancé en 2021. En France, trois pôles principaux ont été identifiés pour porter cette accélération : Paris-Centre, Grenoble et Paris-Saclay.

Pour Saclay, l’un des enjeux stratégiques est de consolider massivement son expertise en informatique quantique en développant des équipes dédiées. Quriosity est ainsi la deuxième équipe fondée autour de la thématique du quantique au Centre Inria de Saclay. La première, QuaCS, a été créée en 2021 avec l’Université Paris-Saclay et une troisième équipe devrait voir le jour prochainement avec l’Institut Polytechnique de Paris. Une dynamique facilitée par le lancement récent du centre Quantum-Saclay au sein duquel l'Institut Polytechnique de Paris et l'Université Paris-Saclay unissent leurs forces. Ce processus témoigne de « l’envie forte de Saclay, qui héberge déjà les spin-offs quantiques Quandela et Pasqal, de passer à une autre échelle dans l’écosystème quantique actuel », se réjouit Romain Alléaume.

Une équipe impliquée dans le projet européen QSNP

Garantir l’ultrasécurisation des réseaux de communication grâce au déploiement de la cryptographie quantique, tel est l‘objectif du consortium européen Quantum Secure Networks Partnership (QSNP), qui s’inscrit dans le Quantum Flagship européen. Romain Alléaume y est leader d’un "workpackage" portant sur la cryptographie quantique et postquantique. Lancé en mars 2023 et doté d’un budget de 25 millions d'euros, ce projet rassemble 42 partenaires publics et privés.

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