Bourses ERC

Accélérer le développement des ordinateurs quantiques

Date:
Mis à jour le 09/10/2024
L’informatique quantique est porteuse de grands espoirs… mais qui ne peuvent se concrétiser pour l’instant. L’une des raisons ? Les « bruits » auxquels sont soumises les particules à l’œuvre dans les ordinateurs quantiques engendrent des erreurs de calcul. Daniel Stilck França, chercheur au sein de l’équipe-projet Inria QInfo, compte bien lever cet obstacle et vient pour cela d’obtenir une bourse ERC Starting Grant.

Votre projet Gifneq (Gibbs Framework for Near-term quantum computing), financé par une ERC Starting Grant, vise à relever un défi majeur de l’informatique quantique : le problème des "bruits".  En quoi consiste-t-il ?

Les ordinateurs quantiques fonctionnent sur le même principe que les ordinateurs actuels : nous leur donnons des instructions et ils effectuent des calculs. La différence est qu'au lieu de fonctionner sur des bits qui ne peuvent être que dans un seul état à la fois (0 ou 1), ils fonctionnent sur des qubits, qui obéissent aux lois de la mécanique quantique et peuvent être en superposition d'états. Si cela offre des capacités de calcul théoriquement largement supérieures, l’inconvénient majeur est que ces qubits sont instables et que de nombreux "bruits", c’est-à-dire des interférences, viennent perturber les particules. C’est un peu comme lorsque vous êtes dans un endroit bruyant et que vous essayez de dire quelque chose à votre voisin : il y des risques que votre message soit mal compris. 

Ainsi, dans les prototypes d’ordinateurs quantiques actuels, une instruction sur 1000, voire sur 100, échoue. Il existe des théories bien établies sur la tolérance aux pannes et sur la correction des erreurs qui nous permettraient de calculer en présence de bruit. Pour poursuivre sur la comparaison avec la communication humaine, l’une des solutions serait de répéter plusieurs fois le message pour augmenter la probabilité qu’il soit bien entendu. Mais ce type de correction n’est aujourd’hui pas au point sur le plan expérimental pour l’ordinateur quantique. Et même s’il l’était, il serait très coûteux en ressources. 

Comment votre projet compte-t-il surmonter cet obstacle ?

Notre idée est de dire : puisque nous ne pouvons pas corriger toutes les erreurs de l’ordinateur, il faut réussir à effectuer des calculs en acceptant un plus grand taux d’erreurs. Pour cela, nous allons nous baser sur le « shuffling », le mélange des états des particules. Imaginez un jeu de cartes (l’état des particules) dans lequel quelqu’un (le bruit) essaie d’introduire en cachette un as (une erreur). Si l’as est placé au départ et que l’on mélange les cartes ensuite, cela n’aura pas d’impact sur le jeu. Si l’as est intégré après que les cartes ont été mélangées mais qu’elles sont de nouveau un peu mélangées ensuite, l’impact sera faible. Et s’il est inséré après le mélange, alors là, l’impact sera le plus fort. Notre objectif est de faire en sorte de mélanger l’état des particules au début du calcul pour que l‘impact de l’erreur soit le plus dilué possible… et de trouver la meilleure façon de mélanger en fonction du bruit attendu, donc des erreurs attendues. Ce qui va nous obliger à caractériser au mieux ce bruit.

Et là, c’est un autre axe de recherche majeur ?

Tout à fait. Car les sources de bruits sont très nombreuses et diverses : il peut s’agir d’influences extérieures, d’incohérences… Toutes les modéliser serait trop compliqué, mais certaines s’avèrent dominantes et mieux structurées que les autres. Nous allons donc développer des méthodes qui peuvent éliminer les sources non dominantes et modéliser les autres. Bien sûr, ces travaux, comme ceux sur le « shuffling », nécessitent une armada d’outils mathématiques, que nous mettrons au point en parallèle.

En quoi cette ERC va-t-elle vous aider sur ces différents points ?

Avec ce financement de 1,5 million d’euros sur cinq ans, je vais pouvoir recruter 2 ou 3 doctorantes ou doctorants et 2 à 4 postdoctorantes ou postdoctorants, qui travailleront sur les outils mathématiques et les aspects théoriques. Si le projet se déroule vite et bien, je n’exclus pas la possibilité de tester nos outils expérimentalement. Grâce à l’ERC, je dispose de conditions idéales pour mener mes recherches. Et c’est aussi une reconnaissance de ma vision scientifique et une validation de son avenir, ce qui me rend très heureux ! 

À terme, quel pourrait être l’impact de vos recherches ?

Les ordinateurs quantiques présentent un potentiel énorme dans de nombreux domaines. Leur puissance de calcul théorique pourrait faciliter la recherche de nouveaux médicaments, l’apprentissage automatique de l’IA, les calculs logistiques… Et si nous montrons qu’il est possible de réaliser de tels calculs avec un taux d’erreur élevé dont l’impact sera dilué, nos recherches pourraient accélérer le développement de ces ordinateurs. Nous apporterons une pierre majeure à l’édifice, mais il en faudra d’autres, tels de meilleurs hardwares.  

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